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avoir eu le prix de Rome résolvait la question de savoir si on avait, oui ou non. du talent. Si ça n’était pas très sur, c’était du moins commode et l’on préparait pour l’opinion publique une comptabilité facile à tenir. M. Croche siflla entre ses dents, mais pour lui-même, je pense… « Oui, vous avez eu le prix de Rome… Remarquez, monsieur, que j’admets fort bien que l’on facilité à des jeunes gens de voyager tranquillement en Italie et même en Allemagne, mais pourquoi restreindre le voyage à ces deux pays ? Pourquoi surtout ce malencontreux diplôme qui les assimile à des animaux gras ? — Au surplus, le flegme académique, avec lequel ces messieurs de l’Institut désignent celui d’entre tous ces jeunes gens qui sera un artiste, me frappe par son ingénuité ? Qu’en savent-ils ? Eux-mêmes sont-ils bien sûrs d’être des artistes ? Où prennent-ils donc le droit de diriger une destinée aussi mystérieuse Vraiment, il semble qu’en ce cas, ils feraient mieux de s’en remettre au simple jeu de la « courte paille », qui sait ? le hasard est parfois si spirituel... Mais non, il faut chercher ailleurs... Ne pas juger sur il des œuvres de commande et d’une forme telle qu’il est impossible de savoir exactement si ces jeunes gens savent leur métier de musicien… Qu’on leur donne, si l’on y tient absolument, un « certificat de hautes études », mais pas un certificat « d’imagination ». c’est inutilement grotesque ! Cette formalité une fois remplie, qu’ils voyagent à travers l’Europe, qu’ils se choisissent eux-mêmes un maître ou, s’ils le peuvent rencontrer, un brave homme qui leur apprenne que l’art n’est pas nécessairement borné aux monuments subventionnés par l’État — M. Croche s’interrompit pour tousser misérablement et s’excuser auprès de son cigare éteint… « Nous luttons, dit-il en montrant son cigare, lui s’éteint, me reprochant ironiquement de trop parler, et m’avertit qu’il finira bien par m’ensevelir « sous sa cendre accumulée ». C’est, avouez-le, un bûcher d’un panthéisme charmant, cela commente doucement qu’il ne faut pas se croire absolument nécessaire, et admettre la brièveté de la vie comme l’enseignement le plus utile… » — Puis, se retournant brusquement vers moi : — « J’étais chez Lamoureux le dimanche où l’on a sifflé votre musique. Il vous faut remercier les gens d’avoir été assez passionnés pour assumer la fatigue de souffler dans des clefs généralement inaptes à devenir des instruments de combat, celles-ci se considérant avec justesse comme des instruments domestiques. La façon de siffler entre leurs doigts des jeunes garçuns bouchers est beaucoup plus reconimaiidable… (On n’a jamais fini d’apprendre…) M. Chevillard montrait une fois de plus, à cette occasion, une merveilleuse et multiple compréhension de la musique. Quant à la Symphonie avec chœurs il a l’air de la jouer à lui tout seul, tant il y a de vigoureuse mise en place dans cette exécution : cela dépasse les éloges que l’on a coutume de faire. »

Je ne pouvais qu’acquiescer ; j’ajoutai seulement que, faisant de la musique pour servir celle-ci le mieux qu’il m’était possilile et sans autres préoccupations, il était logique quelle courût le risque de déplaire