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La Musique


DE QUELQUES SUPERSTITIONS ET D’UN OPÉRA


Je m’étais attardé dans des campagnes remplies d’automne où me retenait invinciblement la magie des vieilles forêts. De la chute des feuilles d’or célébrant la glorieuse agonie des arbres, du grêle angélus ordonnant aux champs de s’endormir, montait une voix douce et persuasive qui conseillait le plus parfait oubli. Le soleil se couchait tout seul sans que nul paysan songeât à prendre, au premier plan, une attitude lithographique. Bêtes et gens rentraient paisibles, ayant accompli une besogne anonyme dont la beauté avait ceci de spécial qu’elle ne sollicitait pas plus l’encouragement que la désapprobation… Elles étaient loin, les discussions d’art où des noms de grands hommes prennent parfois l’apparence de « gros mots ». Elle était oubliée la petite fièvre artificielle et mauvaise des « premières » ; j’étais seul et délicieusement désintéressé ; peut-être n’ai-je jamais plus aimé la musique qu’à cette époque où je n’en entendais jamais parler. Elle m’apparaissait dans sa beauté totale et non plus par petits fragments symphoniques ou lyriques surchauffés et étriqués. Je pensais parfois à M. Croche [1] : il a cet aspect correct et fantômal que l’on peut adapter à n’importe quel paysage sans en contrarier les lignes. Pourtant il me fallut quitter cette joie tranquille et revenir, poussé par cette superstition des villes qui fait que tant d’hommes aiment encore mieux y être broyés que de ne pas faire partie de ce « mouvement » dont ils sont d’ailleurs les douloureux et inconscients rouages ; je remontais dans un vilain crépuscule la monotonie élégante du boulevard Malesherbes quand j’aperçus la brève silhouette de M. Croche ; m’autorisant de ses façons singulières, je marchai près de lui sans plus de formules. Un bref coup d’œil m’assura de son acceptation et bientôt il se mit à parler de cette voix lointaine d’asthmatique qu’exagérait encore la crudité de l’air et qui timbre si curieusement ses moindres paroles…

Parmi les institutions dont la France s’honore, en connaissez-vous une qui soit plus ridicule que l’institution du prix de Rome ? On l’a déjà, je le sais, beaucoup dit, encore plus écrit ; cela sans effet bien apparent, puisqu’elle continue avec cette déplorable obstination qui distingue les idées absurdes ?… » — J’osais lui répondre que cette institution prenait peut-être ses forces dans le fait qu’elle était parvenue à l’état de superstition dans certains milieux... avoir eu ou ne pas

  1. Voir le no du Ier juilllet.