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l’impression qui suit est le sentiment du Paradis perdu, par lequel nous rentrons de nouveau dans le monde des apparences. Ainsi ces œuvres merveilleuses prêchent le repentir et l’expiation au sens le plus profond de la révélation divine.

Il y a uniquement à appliquer la conception esthétique du Sublime : car ici l’action de la sérénité va immédiatement bien au-dessus de toute satisfaction par le Beau. Toul orgueil de la raison, si fière de connaître, devient aussitôt sans force contre le charme qui subjugue tout notre être ; la connaissance s’enfuit confessant son erreur. En l’énorme joie de cet aveu nous nous épanouissons au plus profond de l’âme, encore que la physionomie complètement captivée de l’auditeur trahisse, par sa gravité, son étonnement de sentir sa vue et sa pensée incapables en face de ce monde le plus vrai de tous.

De l’essence de ce génie n’appartenant plus au monde, que pouvait-il rester pour l’observation du monde ? Que pouvait voir en lui l’œil de l’homme qui le rencontrait ? À coup sûr, de l’incompréhensible, car ce n’était que par malentendu qu’il était en relation avec ce monde. Sur ce monde il était, par la grande naïveté de son cœur, en constante contradiction avec lui-même et ne retrouvait son harmonieux équilibre que sur le sol sublime de l’art. Car, si loin que sa raison cherchât à concevoir le monde, son âme se sentait immédiatement calmée par les vues de l’optimisme du siècle, tendances enthousiastes d’humanité qui aboutissaient à un civisme religieux. Chaque fois que, des expériences de la vie, s’élevait en son âme un doute sur la rectitude de cette théorie, il le combattait avec un déploiement ostensible de maximes religieuses. Son être intime lui disait : l’amour est Dieu ; il décrétait aussitôt : Dieu est l’amour. Tout ce qui, chez nos poëtes flattait ces dogmes avec emphase obtenait son approbation ; si le Faust l’enchaînait puissamment, Klopstock et de plus insipides chanteurs d’humanité étaient tenus par lui en une vénération particulière. Sa morale était du plus étroit exclusivisme bourgeois, toute disposition frivole le mettait hors de lui. À vrai dire, il n’offrait lui-même au commerce le plus attentif pas le moindre esprit, et il est bien possible que Gœthe, en dépit des fantaisies pleines d’âme de Bettina sur Beethoven, se soit trouvé en détresse dans ses entretiens avec lui. N’ayant aucun besoin de luxe, parcimonieux souvent jusqu’à l’avarice, il surveillait soucieusement son revenu ; dans ce trait, comme dans sa moralité strictement religieuse, s’affirme l’instinct très sur qui lui donna la force de garder ce qu’il y avait de plus noble en lui, la liberté de son génie, contre l’influence asservissante du monde qui l’entourait. Il vécut à Vienne et ne connut que Vienne : cela dit assez.

L’Autrichien qui, après l’extirpation de toute trace de protestantisme allemand, avait été élevé à l’école des jésuites romains, avait même perdu l’accent de sa langue, qu’il entendait prononcer, comme les noms classiques du monde antique, à la manière welche. Esprit allemand, art allemand, morale allemande lui étaient expliqués dans des manuels d’origine italienne ou espagnole ; à l’aide d’une histoire falsifiée, d’une