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restâmes en détresse dedans, l’eau affleurant au sommet de notre lit de sacs et nous y attendîmes que des attelages de renfort vinssent nous hisser en haut de la pente rapide de la berge. Mais c’était de belle eau fraîche, et d’ailleurs elle ne pouvait trouver sur nous de nouveaux endroits à mouiller.

À la station de la Rivière Verte nous déjeunâmes : des biscuits grillés, des côtelettes fraîches d’antilope et du café, le seul repas décent auquel nous ayons goûté entre les États-Unis et la Ville du Grand Lac Salé. Représentez-vous la monotonie exécrable des trente précédents pour que ce simple déjeuner soit resté après tant d’années dans ma mémoire et y proémine comme une tour.

À cinq heures de l’après-midi nous atteignîmes le Fort Bridger à 189 kilomètres de la Passe du Sud, à 1 650 kilomètres de Saint-Joseph. À 84 kilomètres plus loin, près du commencement du défilé de l’Écho, nous rencontrâmes 60 soldats des États-Unis venant du camp Floyd. La veille ils avaient tiré sur trois ou quatre cents Indiens qu’ils supposaient rassemblés pour de mauvais desseins. Dans le combat qui s’ensuivit, quatre Indiens furent faits prisonniers, et le gros de la troupe poursuivi pendant 6 kilomètres, mais personne ne fut tué. Ceci paraissait sérieux. Nous eûmes la velléité de descendre et d’entrer dans les rangs des soixante soldats ; mais, réfléchissant que les Indiens étaient quatre cents, nous décidâmes de continuer et de nous joindre aux Indiens.

Le défilé de l’Écho a 32 kilomètres de long. Il ressemblait à une longue rue unie et étroite avec une pente descendant graduellement, et enfermée entre d’énormes murailles perpendiculaires d’un conglomérat grossier, hautes de 130 mètres par endroit et bastionnées comme les châteaux du moyen âge. Il y avait là le tronçon de route le plus irréprochable des montagnes, et le cocher dit qu’il allait « lâcher ses bêtes ». Il le fit et si les trains express du Pacifique fendent l’air plus vite que nous dans notre malle-poste, j’en envie aux voyageurs le divertissement. On eût dit que nous avions ramassé nos roues et que nous volions, et les matières postales étaient soulevées en l’air et se tenaient en équilibre dans l’atmosphère. Je ne suis pas enclin à l’exagération, et quand je dis une chose, c’est qu’elle est vraie.

Cependant le temps presse. À quatre heures du soir nous arrivâmes au sommet de la Grosse Montagne, à 25 kilomètres de la Ville du Lac Salé, pendant que le monde entier était dans