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son premier mouvement était de se reculer à leur approche. À l’endroit en question, on pouvait voir au-dessous de soi un monde de crêtes décroissantes et de gorges descendant de plus en plus bas, jusqu’à une vague plaine contenant un fil, qui était une route, et des poignées de plumes, qui étaient des arbres, un joli tableau dormant au soleil, mais avec une ombre se déployant au-dessus et en noircissant l’image de plus en plus profondément, sous la menace d’un orage prochain ; et alors, tandis qu’aucune vapeur, aucune ombre n’obscurcissait le plein jour brillant de son perchoir, l’observateur contemplait la tempête éclatant là, dans le bas ; il voyait les éclairs sauter de cime en cime, les rideaux de pluie remonter les gorges et il entendait le tonnerre résonner, détonner et rugir. Nous eûmes ce spectacle, familier à beaucoup, mais une nouveauté pour nous.

Nous roulions toujours joyeusement. Bientôt au sommet même (quoique depuis une heure ce fût tout le temps le sommet et tout le temps la même altitude), nous arrivâmes à une source qui déversait ses eaux par deux ouvertures et dans deux directions opposées. Le conducteur nous apprit qu’un de ces ruisseaux que nous avions devant nous commençait là un voyage vers l’ouest jusqu’au Golfe de Californie et à l’Océan Pacifique à travers des centaines et même des milliers de kilomètres de solitudes désertes. Il nous dit que l’autre quittait son pays au sein des pics neigeux pour un voyage semblable vers l’est, et nous savions que longtemps après que nous aurions oublié le petit ruisseau, il continuerait à se frayer patiemment un chemin le long des flancs de la montagne, au fond des gorges et entre les rives du Yellowstone ; que, plus tard, il se joindrait au Missouri et coulerait au milieu de plaines et de déserts inconnus et de terres non encore découvertes ; qu’il y ajouterait un long pèlerinage tourmenté parmi des troncs d’arbres, des épaves et des bancs de sable. Il entrerait dans le Mississipi, toucherait les quais de Saint-Louis, dériverait toujours, traversant des bas fonds et des canaux de rochers ; puis d’interminables séries de lacets vastes et sans fond, murés de forêts continues ; puis des défilés mystérieux et des passages secrets entre des îles boisées ; puis encore des séries de lacets bordés d’immenses étendues de cannes à sucre luisantes et non plus de sombres forêts ; ensuite la Nouvelle-Orléans et de nouvelles séries de courbes, et finalement après deux longs mois d’incessants tracas, émotions, plaisirs, aventures et périls terribles venant des gosiers altérés, des pompes et de l’évaporation, il passerait le Golfe et entrerait dans