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du réveil et regardant la première splendeur du soleil descendre sur le long déploiement des pics sourcilleux, illuminer et dorer crête après crête et sommet après sommet comme si le Créateur invisible passait en revue ses vétérans chenus et qu’ils le saluassent d’un sourire, nous arrivâmes en vue de la Ville de la Passe du Sud. L’hôtelier, le maître de poste, le forgeron, le maire, le garde-champêtre, le crieur de ville et le premier habitant et propriétaire, tout cela sortit pour nous saluer joyeusement et nous lui souhaitâmes le bonjour. Il nous donna quelques nouvelles des Indiens et quelques nouvelles des Montagnes-Rocheuses et nous lui donnâmes en retour des nouvelles des Prairies. Il se retira ensuite dans sa grandeur solitaire et nous grimpâmes de nouveau parmi les pics hérissés et les nuages déchirés. La Ville de la Passe du Sud consistait en quatre cabanes de rondins, dont l’une inachevée, et le personnage possesseur de toutes ces charges et dignités était le tout premier des dix habitants de l’endroit. Figurez-vous l’hôtelier, le maître de poste, le forgeron, le maire, le garde-champêtre, le crieur et le principal habitant condensés tous dans une seule personne et encaqués dans la même peau. Bémis prétendit que c’était un parfait revolver Allen de dignités. Il ajoutait que, si ce personnage venait à mourir comme maître de poste ou comme forgeron ou à la fois comme maître de poste et forgeron, la population pourrait s’en tirer ; mais que, s’il venait à mourir d’un bout à l’autre, ce serait une perte effroyable pour la communauté.

Trois kilomètres plus loin que la Ville de la Passe du Sud, nous vîmes pour la première fois cette mystérieuse merveille que tous les enfants orientaux qui n’ont pas voyagé admettent sans hésitation, mais qui les stupéfie tout de même à coup sur quand ils la voient de leurs propres yeux : des bancs de neige au cœur de l’été. Nous nous trouvions perchés tout près du ciel et nous savions à tous moments que nécessairement nous rencontrerions bientôt de hauts sommets revêtus de cette « neige éternelle » si communément citée dans les livres, et pourtant quand je la vis briller au soleil sur de majestueux dômes dans le lointain, en plein mois d’août, pendant que mon habit était au crochet parce qu’il faisait trop chaud pour le mettre, je fus aussi radicalement surpris que si jamais la chose ne m’était venue aux oreilles. En vérité, « voir c’est croire » et d’innombrables gens passent leur longue vie à croire qu’ils croient certaines choses, universellement reconnues et bien éta-