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repos. Et avec des rires il me conta ensuite de quelle façon il avait tenu cette promesse : il avait assigné la plus rude tâche au prisonnier ; il avait dû le battre pour l’y astreindre, et les coups avaient fait perdre connaissance au malheureux. Le lendemain, l’indigène voulut se plaindre à Coulomb. Voici comment le sergent fit droit à cette réclamation : il obligea le condamné à se déshabiller complètement, puis, après l’avoir ligoté avec des cordes préalablement mouillées, il l’exposa en plein soleil, au milieu de la cour de l’établissement. L’homme resta ainsi quatre jours, les poings liés au-dessus de la tête, les bras raidis et allongés dans le prolongement du corps. Deux énormes essieux de charrette, attachés aux mains et aux pieds, maintenaient le patient sur le sol. Sa chair couverte d’ulcères ne formait qu’une plaie où les mouches faisaient de larges taches noirâtres et grouillantes. Je n’exagère rien, et d’autres, avec moi, ont assisté à ces scènes…

Un jour, las des tortures dont ils étaient les témoins et des brutalités qu’ils avaient eux-mêmes à supporter quelquefois, les fusiliers de discipline du détachement de Tadmit se révoltèrent, refusèrent le travail, et… arborèrent des lambeaux de ceinture rouge sur leurs chantiers. Quelques semaines plus tard, la plus grande partie de ce détachement fut relevée de Tadmit, et envoyée à Laghouat, sous le commandement du sergent Amadei[1].

De toutes les tortures inventées chaque jour par le sergent Coulomb

  1. Le nom seul du sergent Amadei répandait la terreur parmi les disciplinaires de la 4e compagnie. Amadei s’était surnommé lui-même le Prince de la brousse et le Pirate du désert. Une de ses formules les plus habituelles en parlant à ses hommes (je l’ai entendue de sa bouche) était la suivante : « Vous êtes tous des salauds et je vous emm… Oui, je vous fais crever de faim, je bois le vin et le café qui vous reviennent et je m’engraisse à vos dépens. Si vous n’êtes pas encore contents, je me charge de vous faire ch… la graisse et pis… le sang… Vous pouvez crier, hurler, je m’en f… Les dunes de sable qui nous entourent n’ont pas d’oreilles, et je suis ici le prince de la plaine… Et puis, après tout, réclamez à qui vous voudrez : au capitaine, au général, au président de la République ; je les emm… tous comme je vous emm… Moi je suis Italien (il était Corse) et je me f…de vous ! »

    Les tortures qu’il savait inventer sont demeurées légendaires, et il ne se bornait pas seulement aux cruautés classiques des compagnies de discipline. Je sais tel homme qu’au camp de Bou-Trifine, il laissa 42 jours sous le tombeau, à la crapaudine (les mains et les pieds attachés ensemble derrière le dos), et entre les dents un bâillon maintenu par des cordes qui, enroulées aux chevilles et aux poignets, attiraient violemment en arrière la tête du malheureux ; puis, toutes les demi-heures, il venait lui-même arroser ces cordes pour maintenir leur tension, et ainsi, peu à peu, elles pénétraient dans les chairs. À l’heure actuelle, l’homme porte encore aux bras, aux poignets et aux chevilles de profondes cicatrices.

    Au moment des repas, Amadei faisait apporter sous le visage du patient une gamelle vide et, auprès, un morceau de pain ; alors il se déculottait, et accroupi au-dessus du récipient, à deux pouces à peine de la face de sa victime, il évacuait. Le soir, enfin, après la tombée de la nuit, il se décidait à débâillonner l’homme, et lui poussait du pied ce pain durci par le soleil de toute une journée et que le pauvre diable, couché sur le ventre, les mains et les pieds toujours attachés derrière le dos était obligé de ronger sur le sol, miette à miette, auprès de la gamelle horrible laissée à dessein par le gradé. Amadei, d’ailleurs, a bien d’autres jeux sur la conscience, et j’y reviendrai. Il est actuellement adjudant.