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taires étaient préposés à la surveillance des condamnés, à la direction de certains chantiers ou vaquaient aux divers travaux qui exigeaient un apprentissage spécial.

Pour sa garnison, pour les fusiliers disciplinaires eux-mêmes Tadmit était un séjour relativement agréable, un poste envié. Il n’en était pas de même pour les détenus indigènes.

Dès leur arrivée à Tadmit, ces malheureux étaient consciencieusement fouillés, dépouillés de tous les objets de valeur qu’ils avaient pu sauver dans leur détresse, puis, suprême humiliation pour un fils de l’islam, on leur rase la barbe et les moustaches. Plusieurs, même, refusent de se soumettre à cette formalité, ce qui leur vaut, après une assommade à coups de bâton, une mise aux fers immédiate, et, quelques jours plus tard, une aggravation de peine par le bureau arabe de Laghouat.

J’ai assisté à cette opération de la mise aux fers.

C’était alors au sergent Coulomb et au caporal Perrin, aidés du forgeron du détachement et de deux ou trois hommes, qu’incombait ordinairement cette besogne. Malgré les pouvoirs dont il disposait, l’adjudant Royer n’avait pu s’affranchir de toute sensibilité, et s’il lui arrivait parfois de briser quelque canne sur le dos des indigènes, je l’ai vu, en d’autres circonstances, faire preuve à l’égard des détenus de véritables sentiments d’humanité. Il préférait laisser à l’imagination du sergent Coulomb et du caporal Perrin le soin des punitions corporelles et des tortures inédites. Il ne pouvait mieux tomber[1]. Ces deux hommes étaient d’une férocité inouïe, et je doute qu’il y ait jamais eu gardes-

    de travaux publics de Ténès, où il commandait une section. Au camp de Bon-Cedraïa, où les condamnés de cet atelier étaient employés à la construction du chemin de fer de Berrouaghia à Laghouat, j’ai vu cet officier entrer dans la tente où les punis — les fers aux pieds et aux mains et le bâillon dans la bouche — râlaient, et profiter de leur impuissance pour les frapper tour à tour, longuement, cruellement, du stick qu’il tenait à la main. Cela se renouvelait plusieurs fois par jour. Un de ces misérables, nommé Adam, était là aux fers, depuis 94 jours, et depuis 94 jours il subissait quotidiennement les insultes et les cruautés du lieutenant Perrin. Adam était un ancien soldat de la légion étrangère, condamné une première fois à dix ans de travaux publics pour outrages envers un supérieur ; un certain nombre d’évasions successives lui avaient encore valu chaque fois de nouvelles condamnations à cinq ans de la même peine. Le total des années de travaux publics qu’il avait alors à accomplir dépassait quarante ans. Mais, trop affaibli maintenant pour risquer une évasion et désespérant de jamais échapper à ses bourreaux, il résolut de se livrer à une voie de fait sur un de ses chefs afin de se faire condamner à mort. C’était pour lui le seul moyen de fuite. Un jour qu’on lui avait enlevé son bâillon et que le lieutenant Perrin le frappait ainsi à coups de cravache, il cracha au visage de l’officier. Il ne fut même pas poursuivi. Sans doute le lieutenant Perrin avait-il d’excellentes raisons pour ne pas établir de plainte. Peut-être, aurai-je l’occasion de revenir sur ce qui, dans la suite, arriva à cet homme et sur l’extraordinaire série de ses souffrances.

  1. J’apprends qu’un sergent Coulomb récemment libéré de la 4e compagnie de fusiliers de discipline, et retiré aux environs de Bou-Medfah (province d’Alger) vient d’être nommé à un poste de surveillant dans un bagne de travaux forcés. Nul doute que ce soit le même.