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sont bien gardés, et que pendant longtemps encore la terre d’Afrique saura étouffer les râles qui montent de ses bagnes.

Et quels bagnes ! Qu’on en juge :

II
l’enfer du djebel-amour.

C’est au sud de la province d’Alger, à quelques lieues à l’ouest de la route qui va de Djelfah à Laghouat, et à deux jours de marche environ de l’une et de l’autre de ces deux villes. Les steppes s’étendent, arides, mornes et plats, à perte de vue. Seule, à l’extrême horizon, la masse formidable du Djebel-Amour rompt la monotonie triste de ces solitudes. Enfin la plaine se resserre, des rocs surgissent, des crêtes se rapprochent, se précisent, le terrain devient inégal et tourmenté, se soulève en houles capricieuses, et tout d’un coup, du haut d’une dernière côte franchie, des champs apparaissent ; des vergers, de délicieux bosquets de verdure touffue remplacent maintenant l’étendue désertique et rocheuse ; une rivière coule doucement, arrose des prés où paissent, à l’ombre de grands arbres, de nombreux troupeaux. Un peu à l’écart, au sommet d’une petite éminence adossée à la montagne, des bâtiments s’érigent, encadrés d’une longue ceinture de murailles percées de meurtrières et flanquées de bastions. C’est là la ferme de Tadmit, l’ « Enfer du Djebel-Amour ».

À l’époque où j’y arrivai, Tadmit comptait une quarantaine de détenus indigènes. Mais, quelques jours plus tard, l’effectif s’augmenta brusquement, et de nouveaux condamnés furent amenés par des spahis, dans le même misérable appareil où je les avais rencontrés autrefois sur la route de Sidi-Makhlouf, aussi lamentables, aussi farouchement résignés.

L’établissement était alors placé sous la direction de l’adjudant Royer, du 2e bataillon d’Afrique, et possédait, outre son contingent de détenus indigènes, une petite garnison composée d’une garde de tirailleurs, d’une dizaine de soldats du bataillon d’Afrique, d’un soldat du train des équipages chargé du ravitaillement, et d’une cinquantaine de fusiliers disciplinaires de la 4e compagnie de discipline commandés par le sergent Coulomb et par le caporal Perrin — celui-là même qui fit périr à la queue d’un cheval le disciplinaire Cheymol[1]. Ces mili-

  1. Malgré la campagne faite par la presse autour de ce crime, l’affaire fut étouffée. Perrin ne fut pas inquiété et continua son service à la compagnie. Aux autorités qui exigeaient une enquête et des poursuites, le capitaine Chérageat qui commandait alors la 4e compagnie de discipline, répondit qu’il prenait tout sous sa responsabilité.

    Le nom des Perrin, d’ailleurs, est tristement connu dans la province d’Alger, et si le caporal Perrin, de la 4e compagnie de discipline, était redouté de tous les disciplinaires de la compagnie, le lieutenant Perrin, son frère, ne l’était pas moins des condamnés de l’atelier