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deux autres parties comprennent tout le reste de la colonie, et forment les territoires mixtes et les territoires militaires, divisés eux-mêmes en cercles placés sous le contrôle et l’autorité des généraux commandant les subdivisions militaires dont ces cercles font partie. Les cercles, dirigés par des bureaux arabes composés d’officiers de différents grades, correspondent à peu près, comme valeur administrative, aux communes des territoires civils, avec cette différence que les autorités militaires y remplissent exclusivement, à l’égard des indigènes, les fonctions administratives, civiles et judiciaires, et que la population indigène dépend de la juridiction spéciale des conseils de guerre siégeant aux chefs-lieux des trois départements algériens.

Mais, à côté de ces tribunaux militaires jugeant en matière criminelle ou correctionnelle, les bureaux arabes peuvent aussi connaître de tous les délits de simple police, de toutes les infractions aux règlements qu’ils ont édictés, de toutes les fautes contre la discipline commises par les indigènes dans le ressort du cercle. Et c’est là que commencent les abus.

Le pouvoir dont disposent ainsi les bureaux arabes est formidable, étant donnée la nature des fautes qu’ils ont à réprimer. L’officier commandant le bureau peut infliger jusqu’à deux mois d’emprisonnement et 100 francs d’amende, là où une même faute, sur le territoire civil, eût motivé à peine une contravention de simple police. Mais ici plus de formes, plus d’enquête, plus de procédure, aucune de ces garanties que peut laisser un tribunal régulier, nul contrôle en dehors de celui du général commandant la subdivision, qui reçoit périodiquement l’état des peines prononcées par les bureaux arabes, et qui peut encore, de son plein gré, porter ces peines à une année d’emprisonnement et 300 francs d’amende.

C’est au domaine militaire de Tadmit qu’étaient envoyés les indigènes condamnés par les bureaux arabes de la subdivision de Médéah.

    l’Algérie, et qu’ils émargent au budget de l’État au même titre que les autres fonctionnaires de la colonie. Le caïd reçoit le dixième de l’impôt perçu sur la tribu dont il est le chef. L’Arabe redoute le caïd autant que l’administrateur européen, et la crainte seule des représailles arrête ses plaintes ou ses réclamations.

    Les contraventions et les procès-verbaux pleuvent dru sur les indigènes en pays algérien. M. J. de Lassalle, rédacteur au ministère de la Justice, qui approfondit la question avec plus de clairvoyance que la Commission sénatoriale, écrit dans son rapport sur le Régime administratif en Algérie que « l’administrateur est maître d’abuser aussi souvent qu’il lui plaira de son droit de punir ». Et, à propos de certaines dispositions légales à l’égard des indigènes, il ajoute qu’ « il n’est pas un Arabe qu’un administrateur ne puisse faire emprisonner quand il le voudra ».

    Pourtant, circonstance qui pourrait étonner, il arrive le plus souvent que les poursuites qui devraient résulter de ces contraventions soient arrêtées en chemin. Mais, loin d’être favorable, cette issue coûte le plus souvent fort cher au contrevenant, qui apprend ainsi à ses dépens que rien ne vaut, pour s’entendre, de beaux douros sonnants. Il suffit d’interroger un indigène pour apprendre que caïds, administrateurs, gardes, cadis et juges de paix s’entendent, vis-à-vis de leurs justiciables, comme justiciers en foire. Aussi, en désespoir de cause, l’Arabe résigné se laisse-t-il tondre patiemment, — à moins que, comme à Margueritte…