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chez lui, il nous faudra jouer plus serré que cela. Laissons-le conduire la conversation selon sa fantaisie, l’abandonner ou la changer quand il voudra. Qu’il voie bien que personne n’essaie de le faire poser. Qu’il fasse à sa guise. Il s’oubliera vite et il se mettra à moudre des mensonges comme un moulin. Ne vous impatientez pas, restez tranquille et laissez-le-moi. Moi, je le ferai mentir. Il faut que nos camarades soient aveugles, il me semble, pour négliger une ruse aussi évidente et aussi simple que celle-là.

Eckert nous reçut cordialement, il avait la parole agréable et des manières aimables. Nous restâmes assis sous la vérandah pendant une heure, sirotant de la bière légère d’Angleterre, et parlant du roi, de l’éléphant blanc sacré, de l’idole dormante, et de toutes sortes de choses ; je remarquai que mon compagnon ne menait jamais la conversation lui-même, mais suivait simplement la direction qu’Eckert lui donnait, sans laisser percer aucune sollicitude ni aucune anxiété, quelconque. L’effet ne tarda pas à se produire ; il se sentit de plus en plus à son aise, de plus en plus bavard et sociable. Une autre heure se passa de la même manière et tout à coup Eckert dit :

— Oh ! à propos, j’allais oublier. J’ai quelque chose ici qui va vous étonner. Une chose dont ni vous ni personne n’a jamais entendu parler. J’ai un chat qui mange des noix de coco ! Des noix de coco ordinaires, vertes, et non seulement il mange la pulpe, mais il boit le lait. C’est comme cela, je vous jure.

Un coup d’œil de Bascom, coup d’œil que je compris, puis :

— Comment, Dieu me pardonne, je n’ai jamais entendu pareille chose. Mon ami, c’est impossible.

— Je savais que vous diriez cela. Je vais chercher le chat. Il entra dans la maison. Bascom ajouta :

— Là, qu’est-ce que je vous ai dit ? Voilà la manière de venir à bout d’Eckert. Vous voyez, je l’ai amadoué patiemment tout le temps, et j’ai endormi ses soupçons. Je suis content que nous soyons venus, vous raconterez ça aux camarades à notre retour. Un chat manger des noix de coco. Oh, par exemple ! Ça c’est bien lui, tout à fait, il raconte le mensonge le plus absurde et il se fie au hasard pour en sortir. Un chat manger des noix de coco. Le naïf imbécile !

Eckert approchait avec son chat, c’était indéniable.

Bascom sourit. Il dit :

— Je tiendrai le chat ; vous, apportez une noix de coco.

Eckert en fendit une, et en découpa des petits morceaux.