Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois que nous arrivions à l’endroit où nous devions changer de cocher était toujours : « Qui c’est-il ? » La syntaxe était incorrecte, peut-être, mais nous ne pouvions pas savoir alors qu’un jour on mettrait cela dans un livre. Tant que tout allait bien, la situation du cocher de grande ligne était passable ; mais si un de ses camarades tombait soudainement malade, cela devenait ennuyeux, car il fallait bien que la voiture continuât sa route, de sorte que le potentat sur le point de descendre et de prendre un repos délicieux après sa longue nuit de siège au milieu du vent, de la pluie et de l’obscurité, était forcé de rester à son poste et de faire le travail du malade. Un jour que dans les Montagnes Rocheuses, je trouvai le cocher profondément endormi sur le siège, les mules courant à leur allure ordinaire de casse-cou ; le conducteur me dit de ne pas m’en inquiéter, qu’il n’y avait pas de danger et que cet homme faisait double service ; il avait conduit une voiture pendant 120 kilomètres, et revenait sur la nôtre sans avoir eu ni repos ni sommeil. Retenir pendant 240 kilomètres six mulets vindicatifs et les empêcher de grimper sur les arbres ! Cela paraît incroyable et pourtant je me rappelle bien le cas.

Les chefs de station, palefreniers, etc., étaient des individus bas et grossiers que j’ai déjà décrits ; et de l’ouest du Nebraska jusqu’au Nevada on peut dire que la corporation était fortement panachée de malfaiteurs, contumaces fuyant la justice, criminels pour qui la meilleure sauvegarde était une région sans lois, sans même un semblant de lois. Lorsque l’agent de la division donnait un ordre à l’un de ces gens-là, c’était dans l’idée nette qu’il pouvait avoir à l’imposer avec un revolver de marine, aussi allait-il toujours « paré » pour faire tout marcher droit.

De temps en temps l’agent était en effet obligé de faire sauter la cervelle d’un palefrenier pour lui apprendre quelque simple chose qu’il aurait pu lui enseigner avec une trique si les circonstances et l’entourage eussent été différents. Mais c’étaient des hommes entendus et cassants que ces agents de division et quand ils voulaient expliquer quelque chose à un subordonné, ils le lui logeaient généralement dans la cervelle.

Une grande partie de cette vaste machine, ces centaines d’hommes et de voitures, ces milliers de mulets et de chevaux étaient entre les mains de M. Ben Holliday. Toute la moitié ouest de l’entreprise lui appartenait. Ceci me rappelle un incident de voyage en Palestine, qui est à sa place ici et que je transcrirai textuellement de mon carnet de Terre Sainte :