Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aisance glisse le cayote sans jamais panteler, suer ou cesser de sourire ; il s’irrite de plus en plus de voir avec quelle imprudence il a été dupé par un parfait étranger et quelle ignoble fourberie il y a dans ce trot allongé, calme et velouté ; ensuite il remarque qu’il commence à se fatiguer et que le cayote doit s’appliquer à ralentir son propre train pour ne pas être perdu de vue : c’est alors que ce chien de la ville s’affole pour de bon, qu’il commence à peiner, à geindre et à sacrer, à faire voler la poussière plus haut que jamais et à se ruer sur le cayote avec une énergie concentrée et désespérée. Cet « emballage » le conduit à six pieds en arrière de son glissant ennemi et à trois kilomètres de ses amis. Alors, au moment où une nouvelle espérance dérisoire illumine son visage, le cayote se retourne et sourit aimablement avec quelque chose dans l’expression qui semble dire : « Eh bien ! je vais être forcé de vous fausser compagnie, mon petit ; les affaires sont les affaires, et je n’ai pas le moyen de gaspiller toute ma journée avec vous comme ça. » Immédiatement on entend un bruit impétueux, une longue déchirure fend l’atmosphère et voici que le chien se trouve seul et abandonné au milieu d’une vaste solitude

Cela lui fait tourner la tête. Il s’arrête et regarde autour de lui ; il grimpe sur le prochain monticule de sable pour contempler l’horizon, secoue la tête d’un air pensif et, sans une parole, il s’en retourne cahin-caha vers sa caravane où il prend humblement position sous le chariot d’extrême arrière, plein d’une inexprimable mortification, la mine honteuse, et la queue en berne pour huit jours.

D’ici une année, toutes les fois qu’on criera haro sur un cayote, ce chien-là se contentera de regarder dans la direction indiquée sans aucune émotion, se disant apparemment en lui-même : « Je n’ai pas envie de goûter à ce plat-là, il me semble ».

Le cayote habite principalement les déserts les plus désolés et les plus impraticables, on considère que le cayote et les Indiens du désert témoignent de leur communauté de race en ce qu’ils vivent ensemble dans les parties abandonnées de la terre sur un pied de parfaite confiance et amitié, tandis qu’ils haïssent toutes les autres créatures et participent volontiers à leurs funérailles. Il n’hésite pas à aller déjeuner à 150 kilomètres et à aller dîner à 250, parce qu’il est sûr d’avoir trois ou quatre jours entre ses repas et qu’autant vaut pour lui voyager et voir du pays que de flâner oisif à la maison et d’être à la charge de sa famille.

Nous apprîmes vite à reconnaître l’aboiement méchant et aigu