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et aux dents découvertes. Tout son être à l’air furtif. C’est l’allégorie vivante et respirante du besoin. Toujours il a faim. Il est toujours pauvre, malchanceux et sans amis. Les plus viles créatures le méprisent, et les puces elles-mêmes le déserteraient pour un vélocipède. Il est si plat et si lâche que, au moment même où ses dents en bataille font semblant de menacer, le reste de sa figure s’en excuse. Il est si débraillé ! si crotté, si osseux, si ébouriffé, et si pitoyable ! En vous voyant il retrousse sa lèvre, vous lance un éclair de ses dents, et prend un long trot velouté à travers les sauges, vous jetant un coup d’œil par-dessus l’épaule, de temps en temps, jusqu’à ce qu’il se trouve hors de portée de pistolet ; puis il s’arrête et vous examine posément ; il trotte une cinquantaine de mètres et s’arrête encore ; cinquante mètres encore et nouvel arrêt ; finalement le gris de son corps fuyant se confond avec le gris des sauges et il disparaît.

Tout cela a lieu quand vous ne faites aucune démonstration hostile contre lui ; mais si vous en faites, il s’applique à la course avec plus d’ardeur, il électrise immédiatement ses talons et place une telle étendue de territoire entre lui et votre arme qu’au moment où vous levez le chien, vous vous apercevez qu’il vous faudrait une carabine Minié, qu’au moment où vous le couchez en joue, il vous faudrait un canon rayé, et, au moment où vous le tenez sur votre guidon, vous voyez clairement que seul un éclair extraordinairement inessoufflable pourrait désormais l’atteindre. Mais si vous lancez à sa poursuite un chien au pied léger, vous en aurez bien de l’amusement, surtout si ce chien a bonne opinion de lui-même et a été élevé dans l’idée qu’il s’y connaît en fait de vitesse. Le cayote file, se balançant doucement au rythme trompeur de son trot ; à chaque instant il sourit par-dessus son épaule d’un fallacieux sourire qui remplit absolument le chien d’encouragement et d’ambition mondaine et qui lui fait baisser le museau encore plus bas, allonger le cou plus en avant, haleter plus fièrement, raidir la queue plus droite en arrière, agiter ses jambes furieuses avec une frénésie toujours plus acharnée et soulever, en un nuage toujours plus large, plus haut et plus épais, le sable du désert fumant derrière lui et marquant son long sillage à travers la plaine unie. Pendant tout ce temps le chien n’est qu’à vingt petits pas en arrière du cayote, sans pouvoir comprendre, quand ce serait pour sauver son âme, pourquoi il n’arrive pas à s’en rapprocher sensiblement ; il commence à être vexé et désolément il considère avec quelle