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LA FOLIE
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Qui ravagent au nom du sang, tous collaborent
Avec leur haine ou leur amour au but sacré.
De chaque heure du siècle un prodige s’essore,
Et vous les provoquez, chercheurs ! Tout est serré
Mailles de force ou de matière, entre vos doigts subtils,
Vos miracles humains illuminent les villes,
Et l’inconnu serait dompté et le savoir
À larges pas géants aurait rejoint l’espoir,
Si vos cerveaux battus du vent de la conquête
N’usaient, à trop penser, vos maigres corps d’ascètes
Et si vos nerfs tendus toujours et toujours las,
Un jour, tels des cordes, n’éclataient pas.

Ô la folie avec ses cris, avec ses râles,
Et ses pas saccadés au long d’un haut mur blanc,
Ô la folie et ses soleils plombant et pâles,
Comme des lampes sépulcrales,
Sur les villes de l’Occident,
Certes, vous l’entendez, chercheurs fiévreux et blêmes
Rôder non loin de vos maisons,
Mais rien ne vous distrait du sort de vos problèmes,
Vous surgissez héros, donnant votre raison
Comme jadis on prodiguait sa vie,
Et les chevaux des recherches inassouvies
N’arrêtent point soudain l’essor
De leurs ailes dans la lumière,
Parce que ceux qui les montent glissent à terre,
Parmi les morts.


Émile Verhaeren