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LA REVUE BLANCHE


Jadis, tout l’inconnu était peuplé de dieux ;
Ils étaient la réponse aux questions dont l’homme
En son âme puérile dressait la somme ;
Ils étaient forts puisqu’ils étaient silencieux,
Et la prière et le blasphème
Qui ne résolvaient rien
Tranchaient pourtant, au nom du mal, au nom du bien,
Ces problèmes suprêmes.

Or aujourd’hui, c’est la réalité
Secrète encor mais néanmoins enclose
Au cours perpétuel et rythmique des choses,
Qu’on veut, avec ténacité,
Saisir, pour ordonner la vie et sa beauté,
Selon les causes.

L’homme se lève enfin pour ce devoir tardif
Venu pour éclipser les feux de tous les autres ;
Il s’affirme non plus le roi, le preux, l’apôtre,
Mais le savant têtu, ardent et maladif,
Qui se brûle les nerfs à saisir au passage
Toute énigme qui luit et fuit — moment d’éclair.
Doutes, certitudes, labeurs, fouilles, voyages,
La terre entière est sonore de son pas clair
Et la nuit attentive écoute arder ses veilles.
Avec des yeux géants il explore la treille
Des globes d’ombre et d’or pendus au firmament ;
Les soirs sont flamboyants de hauts laboratoires
Qu’il allume, pareils aux feux des promontoires ;
La vie ? il l’étudie en de simples ferments ;
Couche après couche, il a fouillé les sols funèbres ;
Il a sondé le fond des mers et des ténèbres ;
Il a rebâti tout, avec un tel souci,
D’en bien fixer l’assise et les combles et les mortaises
Qu’il n’est plus rien, sous les grands toits de ses synthèses,
Qui ne soit soutenu et ne soutienne aussi.
Et le tressaut universel des énergies
Aide à ce travail neuf, de ses forces surgies
Aux quatre coins du monde — et la terre et les cieux
Et ceux qui trafiquent au nom de l’or, et ceux