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vent des filles de 13 à 14 ans qui sont naturellement fort mal payées. Un ouvrier m’a raconté qu’il travaillait dans une chambre avec 8 filles, 13 à 14 heures par jour. Dans les grands ateliers, le travail dure généralement de 8 heures du matin à 8 heures du soir. Beaucoup d’ateliers ne sont pas chauffés l’hiver pour que le tabac ne sèche pas et quand un jour j’ai demandé à une jeune fille s’il ne faisait pas froid, elle me répondit que 38 jeunes filles travaillaient avec elle et que, comme on n’ouvrait jamais les fenêtres « il faisait toujours suffisamment chaud par suite de la transpiration générale »… Les salaires se paient dans les grands ateliers par 100 pièces pour les cigares à raison de 1 sh. 6 d. à 3 sh. 6 d. Un ouvrier peut faire 150 à 200 pièces par jour et son gain ne dépasse jamais 13 à 14 sh. par semaine. On paie aussi par semaine 8, 10, 12 sh. Mais dans ce cas, on garde les ouvriers toute l’année [1].

La situation des ouvriers travaillant à la confection des casquettes n’est pas meilleure que celle des tailleurs. On en compte environ 2 000, la plupart des femmes. Ce sont surtout les jeunes filles, remarque Soloweitschik, qui en arrivant à Londres se jetèrent sur ce métier, provoquant une baisse extraordinaire des salaires. Les conditions sanitaires sont affreuses. D’édifiants exemples en ont été relevés par les « Factory inspectors ». Comme le salaire est payé à la pièce, les ouvriers se tuent pour fournir autant de besogne que possible, mais leur gain ne dépasse jamais 15 à 18 sh. par semaine. Le travail ne dure que 6 mois ; 6 mois de chômage.

À la confection des fourrures, 2 000 ouvrières sont employées dans les ateliers, une partie de l’année [2]. Le travail dure de 8 heures du matin à 8 heures du soir, mais dans la bonne saison, il y a beaucoup d’ « overtimes ». Les prix ont très fortement baissé dans ces dix dernières années. Le salaire se paie par pièce et on ne reçoit plus que 4 sh. d’un travail qui était rétribué autrefois 10 sh. (Fifth Report…). Le maximum de gain par semaine est de 23 sh. ; mais, en général, on ne gagne que 12 à 15 sh. Les enfants gagnent 4 ou 5 sh. par semaine.

Il existe encore des ouvriers juifs employés à la confection des meubles, à la fabrication des métaux, à la ciselure en bois (principalement des enfants), etc. Dans le seul East End de Londres il y a environ 38 à 40 mille ouvriers juifs ; à ce chiffre il faudrait ajouter ceux du Soho et du West End qu’on ignore.

  1. Notons, en passant, que le sentiment religieux disparaît peu à peu chez le juif de l’East End. La plupart travaillent le samedi et oublient d’observer le sabbat. Ici, comme ailleurs, les conditions de vie sont plus puissantes que l’éducation, les sentiments et les idées.
  2. M. Soloweitschik écrit : « J’ai visité un atelier (le patron m’a permis de le faire à la condition que je ne poserais aucune question aux ouvriers). Il était sous le toit et 40 femmes y travaillaient, dont 23 étaient des jeunes filles. Il s’y trouvait en tout 37 juives et 3 chrétiennes. À ma question : « Pourquoi employez-vous tant de filles juives ? » le patron m’a répondu que dans ce métier il faut être intelligent et que les ouvrières juives le sont plus que les ouvrières chrétiennes. » C’est faire beaucoup d’honneur aux jeunes filles juives : mais la vraie raison est tout autre et l’on s’étonne que M. Soloweitschik ne l’ait pas donnée : ces jeunes femmes et ces jeunes filles, trop heureuses de sortir de la misère noire, ont accepté du travail à n’importe quel prix ; le patron a acheté leurs mains à meilleur compte.