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voit rivaliser avec les hommes à Kichinev, à Homel, à Minsk, à Darisov, à Varsovie, à Wilna, et leur disputer avec acharnement de maigres salaires de 25 à 30 kopeks, dans la plupart des métiers : passementerie, bois courbé, crin pour meubles, fleurs artificielles, couture, modes et lingerie. Le manque de travail et la détresse prolongée les obligent quelquefois — comme cela arrive pour les ouvrières de toute religion et de tout pays — à se livrer à la prostitution [1].

Voici quelques documents tout à fait récents donnés par le Woskhod (juillet 1901) :

À Odessa, les inspecteurs sanitaires ont compté 5 087 habitations occupées par des familles juives dénuées de toutes ressources. Sur ces 5 087 habitations, plus de 1 000 se trouvaient dans les caves et plus de 2 000 manquaient de fenêtres, 41 % des familles juives de cette ville n’ont pour logement qu’une seule chambre, qui doit souvent servir à une dizaine de personnes. Aussi, l’état sanitaire des Israélites d’Odessa est-il déplorable. En 1897, sur 60 000 malades soignés dans les hôpitaux, on comptait 33 000 juifs. Ces conditions de la vie matérielle ont naturellement une répercussion sur l’état intellectuel.

En 1899, 62 % des enfants juifs d’Odessa ne recevaient aucune instruction. Selon les statistiques de 1900, à peine 10 % des israélites de cette ville savaient lire et écrire le russe. À Wilna, l’industrie des bas est presque toute entière entre les mains des ouvrières israélites ; celles ci ne gagnent en moyenne que 8 roubles par mois et encore faut-il tenir compte des chômages très fréquents et de l’impôt de 3 roubles par an que l’ouvrière paye à l’administration des métiers pour avoir le droit d’employer une machine. À Minsk la situation n’est pas plus brillante. Les ouvriers juifs y travaillent surtout dans la cordonnerie, la lingerie et la boulangerie ; ils ont en général un salaire de 4 à 5 roubles par semaine pour un labeur quotidien de 15 à 17 heures. Il s’y trouve également 250 maçons qui gagnent en moyenne 2 roubles par semaine et chôment 9 mois sur 12 [2].

Nous devons arrêter cette énumération et rester forcément incomplets.

  1. M. Leroy-Beaulieu raconte qu’une jeune fille venue à Moscou pour apprendre la sténographie n’a trouvé moyen de pouvoir y rester qu’en s’inscrivant comme fille publique, attendu que la prostitution était le seul métier accessible aux femmes de sa race. La malheureuse fut expulsée au moment où la police apprit qu’elle n’exerçait pas effectivement sa « profession »… (Journal des Débats, 15 août 1890).
  2. Un nouveau fléau s’est abattu sur les juifs pauvres : la famine. Le Woskhod de mars 1901 donne les renseignements suivants : Dans le gouvernement de la Bessarabie, la région de Soroki compte 983 familles sans ressources, disséminées dans 16 colonies et quatre villes. Dans la seule ville de Soroki 200 familles meurent de faim. Britchev, Lublin et Vertinjanes et quelques autres villages comptent 200 familles de colons qui manquent des moyens d’existence les plus élémentaires. À Ekaterinoslav le directeur des colonies a été obligé de demander au ministère des domaines impériaux un prêt de 12 000 roubles ; ce prêt a été consenti par Nicolas, mais la somme doit être prise sur les capitaux communaux d’Ekaterinoslav, pour un délai de six ans, d’ailleurs sans intérêts.