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LE PARNASSE ET L’ESTHÉTIQUE PARNASSIENNE
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homme, après avoir regretté que le chemin du rire ait été déserté par les Romantiques, fait observer que, seul, Banville a ragaillardi la veine française, et demande : « Où seul ses élèves ? » ce qui n’est pas aimable pour l’auteur de la Grive des Vignes. Un autre coin de mandement pourrait concerner M. de Heredia ; je me reprocherais d’interpréter ce morceau d’éloquence académique, au lieu de le citer.


« Une forme a persisté, qui ne pouvait pas périr, car elle est adniira])liment assortie à la secrète horreur des compositions étendues, c’est le sonnet.

Le sonnet présente le rare avantage de s’adapter à toute espèce de sujet simple. Il n’est donné qu’aux maîtres d’en sentir les intimes conditions, qui sont les plus laborieuses à remplir, mais il demeure difficile pour tons, ne fût-ce que par le choix des rimes redoublées. Il n’effraie pourtant pas les indolents, au contraire. À cet égard la psychologie de sa confection est très curieuse. Ce travail exige, outre l’habileté, beaucoup de persévérance ; mais comme il n’engage pas l’activité mentale à long terme comme un grand poème, la persévérance peut prendre son temps et faciliter l’effort en le divisant par des relais ; elle peut, en un mot, le concilier avec la nonchalance. La lenteur des points ne compromet pas l’achèvement de cette exquise tapisserie, et n’eût-on pas la patience de lâchever, on n’aurait pas à sacrifier un commencement trop considérable ; mais on la termine, tout le canevas tient dans la main, et rien ne favorise mieux la constance. De là, vient qu’on n’a jamais fabriqué tant de sonnets qu’aujourd’hui. Mais combien en faut-il pour valoir un long poème ? — Un seul, répondent nos jeunes confrères ! Oh ! celui-là est rare, nous savons tous où il se trouve, mais ce n’est pas chez eux. Qu’ils l’accomplissent donc, et je pardonnerai de bon cœur à cet ouvrage d’une valeur sans mesure l’étroite mesure de son cafire qui le rend complice de leur faible essor. »


Ce filet n’est pas sans justesse, et, encore que le sonnet soit la plus raisonnable des formes fixes, sa culture exclusive n’est pas faite pour ne communiquer aucun étonnement, mais ce n’est point pour les mêmes raisons que M. Sully Prudhomme que nous serions d’un avis semblable au sien ; peut-être même avons-nous plus de sympathie que lui et l’admiration pour le sonnet, quand il est manié, en passant, parmi le labeur de l’œuvre, par des sonnettistes tels que Baudelaire, Mallarmé ou Verlaine. Nous serions aussi d’accord avec M. Sully Prudhomme en désirant que les questions de rythmique soient lu’en posées, scientifiquement posées. Or, ce n’est point ce qu’il fait. En appeler à la phonétique, oui n’est pas une science bien scientifique, du moins d’une rigueur mathématique, est bien, mais M. Sully Prudhomme ne tire pas de son intention un parti suffisant, et ce n’est pas encore lui qui aura donné au vers parnassien un subslrat scientifique. Il s’efforce surtout à différencier l’aspiration poétique et la traduction verbale, ou versification. Il ne se rend pas compte que notre effort a été surtout de réduire cette versification artificielle au minimum, et d’effacer de la versification ce qu’elle avait de mnémotechnique. Nous n’admettons même pas qu’il y ait versification, mais seulement revêtement rythmé de l’émotion. Au contraire, M. Sully Prudhomme, partant sur son idée spéciale de rhétorique poétique qui permet d’exprimer