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M. Astruc écrit de Jassy, à la date du 12 juin 1900 :

« … Dans cette cité, qui contient plus de 35 000 Israélites, deux tiers d’entre eux, au moins, ont besoin d’être secourus ; c’est que les personnes mortes d’inanition se comptent par douzaines, et que dans le cimetière le nombre des fosses creusées depuis cet hiver a atteint une proportion effrayante… Entrez dans la première maison venue : on vous dira que le pain manque sur la planche depuis plusieurs jours et que, voilà deux semaines et plus, on se nourrit de fruits verts cueillis dans les environs de la ville. Montez cet escalier vermoulu qui craque fâcheusement sous vos pieds et vous apercevez des vieillards immobiles, hébétés, hâves, qui vous écoutent sans comprendre et qui versent des larmes en prenant la miche de pain que vous leur tendez. Descendez dans cette cave où les murs suintent, où la respiration semble impossible, où l’atmosphère est puante et vous sentirez les larmes vous venir aux yeux à la vue d’une douzaine d’enfants appartenant à diverses familles, habillés d’une simple chemisette couleur de terre, maigres, diaphanes, presque sans vie, geignant, et se calmant subitement dès que le morceau de pain est mis entre leurs mains… »

Récemment encore (le 17 mai 1901), M. Astruc, chargé par l’Alliance de distribuer les secours aux indigents, écrivait de Lespezi :

« … Ville pauvre par excellence et exclusivement habitée par des juifs. L’on n’y voit que des silhouettes de malheureux arpentant de long en large les rues. À quelle occupation autre que les métiers de tailleurs, rapiéceurs, cordonniers, savetiers ou ferblantiers pourraient se livrer 2 500 juifs qui ne vivent que d’un trafic limité aux besoins journaliers dans une bourgade sans aucun commerce, sans industrie, sans agriculture ? C’est un problème de savoir comment avec la concurrence effroyable que se font entre eux tant de meurt-de-faim ils arrivent quand même à vivre. Ne me demandez pas en quoi consiste la nourriture de toutes ces familles : pain ou mamaliga, mamaliga ou pain ; voilà le menu ordinaire et extraordinaire… [1]. »

À méditer ce passage sur la prétendue solidarité mystérieuse des juifs :

« La concurrence à Lespezi, comme à Frumosica, comme à Burdujéni, comme à Stefanesti, la concurrence entre juifs est meurtrière, le travail manque et la misère qui s’ensuit est inénarrable. L’on se fera une idée de l’avilissement des salaires de la main-d’œuvre, lorsque je dirai que dans la plupart des villes précitées, un ouvrier juif s’estime heureux s’il trouve à gagner de 4 à 5 francs par semaine. »

À Botosani, sur 17 000 juifs, 15 000 sont réduits à la mendicité, faute de travail. Une cuisine populaire a été installée, par les soins de l’Alliance, les clients y affluent. Du mois de décembre 1900 au mois d’avril 1901, il a été distribué plus de cinquante mille portions gratuites

  1. Voir Bulletin de l’Alliance israélite, mai-juin 1901.