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LE PARNASSE ET L’ESTHÉTIQUE PARNASSIENNE
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cursif (eu égard à sa règle), offrant souvent, dans les pièces légères, grâce à un métier bien tenu et quelque nonchalance touchant la rareté des rimes, un aspect d’improvisation heureuse, solide et fort dans les contes épiques, dominé par la rime quand le poëte s’esclaffe, — diffère beaucoup du vers serré, avec des résonances d’intimité et des traînes de musique que fait M. Dierx. Ces deux formules doivent être très différenciées du système de lignes de prose exactement césurées et ponctuées par une rime avec consonne d’appui qu’emploie le plus fréquemment M. François Coppée. Un vers prosaïque sera toujours de la prose, malgré toutes les prosodies qui garantiront le contraire, et ce membre de phrase.


Que le bon directeur | avait versé lui-même,



ne saurait être considéré comme un vers. C’est l’erreur, toute l’erreur du Parnasse d’avoir considéré la versification comme indépendante de la pensée. Cette formule de M. Coppée est dissemblable de la forme souvent gauche, imprécise et sans éclat, si elle n’est pas toujours dépourvue dun joli flou lamartinien, qui distingue M. Sully Prudhomme, et de la technique serrée, trop serrée, encore qu’elle se permette la cheville (Banville l’a permise) de M. de Heredia, prodigue de rimes trop riches, trop monotones, coulant toute vision dans ce moule unique et forcément monotone du sonnet.

Les différences déjà visibles au début entre les poëtes parnassiens se sont accentuées : les uns ont des dons d’image ou de musique ; d’autres en sont dépourvus. Le choix entre Leconte de Lisle et Banville se manifeste encore ; il était d’ailleurs inspiré au début par des raisons profondes de tempérament. Ces variations sont assez grandes pour qu’on ait été parfois tenté de voir dans le Parnasse, plutôt qu’un groupement logique, une coalition. On aurait tort : ce qui donne au Parnasse cet aspect disparate, c’est qu’il constitue la fin du Romantisme, et qu’il s’y rencontre, mêlés aux dons personnels, des reflets de toutes les directions romantiques, poétiquement s’entend, car c’est une des infériorités de l’école, comme du Naturalisme d’ailleurs, de n’avoir pas également abordé la prose et le vers, l’œuvre lyrique et l’œuvre d’analyse et de synthèse ; c’est ce qui la rejette au, second plan. Sans M. Catulle Mendès, nous ne saurions pas comment un parnassien entend la prose, en dehors du poème en prose, et encore exception faite pour le Livre de Jade, en négligeant les œuvres peu caractéristiques de M. de Lyvron et ne pouvant attribuer au Parnasse les poèmes en prose de Mallarmé, encore que certains des plus beaux aient paru à la République des Lettres, où M. Mendès élargissait le Parnasse autant qu’il le pouvait, ni les jolies fantaisies qui terminent le Coffret de Santal de Charles Cros ; c’est encore M. Mendès que nous trouvons occupé à représenter le Parnasse dans le maniement de cette forme créée par Bertrand, mais recréée par Baudelaire (qui y dépose le germe révolutionnaire) et que le Symbolisme a absorbé, en ses cadences et en son respect de la phrase, dans le vers libre.