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même de la sagesse, mais comme porteur d’un message impérial, dont le contenu, du reste, n’a jamais été divulgué. Quand, après une absence d’une année, juste le temps d’accomplir cette mission, le jeune lama, M. Z…, revint, le Khamba-Lama Tchoigyi Iroltieff lui-même partit aussitôt pour Pétersbourg.

Pendant ce temps, une recrudescence fabuleuse du mouvement bouddhique se manifestait ; et… l’ambassadeur russe à Pékin commença à jouer un rôle qui différait totalement de celui des autres diplomates occidentaux. Peu après, hasard heureux pour les grands conspirateurs, la guerre sino-japonaise offrit l’occasion de protéger la dynastie mandchoue contre les appétits combinés du Japon et de l’Angleterre. La défaite de cette dernière fut décisive. L’empereur mandchou était l’obligé du Tsar : la cession virtuelle de la Mandchourie fut la première conséquence de cet état de choses.

Mais l’ascendant du Tsar sur le Hoang-ti n’était pas encore complet, et les différentes concessions que ce dernier ne pouvait, malgré le concours de la diplomatie russe, refuser aux autres Puissances, mettaient de nouveau en question la réussite finale de l’action tsaro-lamaïste. Le gouvernement russe envoya dans le Turkestan oriental une « mission scientifique », dont deux membres se hâtaient de « continuer les explorations vers le sud ». Ils arrivèrent à Lhassa au commencement de l’année 1897. Ils y étaient encore en février 1900. Leur escorte, commandée par M. Kozloff, vient de rentrer en Sibérie.

Après que le génial ambassadeur russe eut été rappelé de Pékin à Pétersbourg et reconduit jusqu’à la frontière sibérienne, à Kiakhta, avec des honneurs royaux, le Khamba-Lama envoya un autre de ses élèves, M. B…, « continuer ses études à Lhassa ». Cet homme extrêmement habile, qui joignait l’astucieuse finesse des diplomates russes à la placidité des grands prêtres habitués à mener de vastes et silencieuses entreprises, fut à peine arrivé à Lhassa que, en qualité rapidement acquise de chancelier du De-sri (lequel est le directeur des affaires séculières du Dalaï-Lama), il prit pratiquement en main la gestion des affaires politiques communes au Dalaï-Lama et au Tsar.

À partir de ce moment, la dynastie mandchoue, et, avec elle, la Chine en tant qu’unité politique, ne fut plus que le jouet de la conspiration thibéto-russe. Il n’appartient pas à cet exposé historique de révéler des détails non encore sortis du domaine de la politique ; la contemporanéité des événements m’oblige donc à me borner à indiquer dans ses grandes lignes le schéma de la révolution extraordinaire qui est en train de s’accomplir en Extrême-Orient.

Le nouveau chancelier une fois installé à Lhassa, le grand mouvement antidynastique des « Poings de l’équitable Harmonie » prit un essor inquiétant[1]. Le mouvement ne fut que le ricochet de la rupture

  1. L’enrôlement de ces Boxeurs par le clergé ; le serment de fidélité sur les « six syllabes » ; des drapeaux boxeurs portant en « écriture quadrangulaire » tibétaine la formule sacrée ; enfin tout un ensemble de faits, d’observations et de documents (que je me réserve de discuter en détail à une autre occasion) prouvent surabondamment le caractère nettement bouddhique du Boxisme, au moins dans l’intérieur de la Chine.