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était faible, et il n’y avait même pas, comme dans les provinces septentrionales et occidentales, le lien d’une commune religion entre la dynastie et ses sujets.

L’empereur Khang-hsi, qui monta sur le trône en 1662, épuisa pendant soixante ans les ressources de son remarquable talent administratif à remédier aux tares qui entachaient la base sociale de la dynastie. Il n’y réussit pas, quoi qu’en disent les panégyristes officiels. Quand, en 1720, Lhassa et Pékin procédèrent à un nouvel arrangement de leur situation réciproque, rien, au fond, ne fut changé : seule différence : il y aurait désormais à Lhassa et dans trois autres localités une garnison chinoise ; ces troupes, de faible effectif, étaient commandées par un officier mandchou et un officier chinois, qui devaient résider à Lhassa et avaient pour supérieur le gouverneur général du Sze-tchouen : il était, du reste, expressément stipulé que ces officiers n’étaient autorisés à intervenir à aucun titre dans les affaires intérieures du Thibet[1]

Or, le concordat de 1720 est, de droit, en vigueur jusqu’à ce jour.

Les vicissitudes diplomatiques que les relations officielles entre Pékin et Lhassa ont subies depuis 1720 sont très peu intéressantes au point de vue de l’histoire universelle. Les trois faits matériels permanents qui déterminent la question chinoise sont les suivants :

1) La dynastie mandchoue ne jouit de quelque popularité que dans les provinces septentrionales, Tchi-li, Chan-si, Chen-si, Kan-sou, et dans certains districts du Ho-nan et du Sze-tchouen : c’est-à-dire là où le lamaïsme règne en maître sur l’esprit populaire : dans le reste de l’immense empire la dynastie a toujours été regardée comme étrangère ; les grandes sociétés secrètes, qui toutes sont empreintes d’un caractère nettement nationaliste, et les innombrables tentatives de révolution, depuis les Miao-tze (vers 1740) jusqu’aux Boxeurs, qui toutes avaient pour but primordial de renverser le trône mandchou, en disent assez long. La dynastie a donc nécessairement besoin du concours clérical pour s’assurer la fidélité des seules provinces où son autorité possède une autre base que la simple force brutale. Mais, tout en ayant besoin du clergé, la dynastie (et c’est là sa tare) n’a aucun moyen d’imposer ses vues touchant la gestion des affaires cléricales, car :

2) La dynastie mandchoue n’a aucune influence sur la nomination du Dalai-Lama et du Pantchen-Lama. Il a été exposé que ces deux maîtres de l’Église sont immortels, en ce sens qu’à la mort de leur corps, leur âme se réincarne immédiatement dans un nouveau-né ; il est donc de la plus haute importance de déterminer quel nouveau-né se trouve être le nouveau Grand-Lama. Or, cette « élection », sur laquelle la cour de Pékin prétend dans ses annales avoir la haute main, se fait de la façon

  1. Il fallait, l’ingéniosité des scribes chinois pour conclure de là que le Thibet n’est qu’un département du gouvernement général de Sze-tchouen. Mais il convient de confronter les annales chinoises aux chroniques bouddhiques qui se trouvent aux grandes bibliothèques monacales de Mongolie (et aussi, sans doute, du Thibet).