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qui remplit tous les désirs. Maintenant que tu es devenu le grand et puissant monarque dont la destinée se trouve être de remédier aux malheurs de ce temps troublé, tu ne te rendras digne de ce nom que si tu gouvernes d’après les préceptes de la religion la totalité des peuples qui t’obéissent. Donc, sois protecteur de la religion du Transfiguré, et assume les devoirs de Seigneur et Soigneur des Dons de la Religion. »

Le message portait les sceaux du Pantchen et du Dalaï. Il y eut pendant quelques mois des négociations secrètes entre Tsordji et Taïtsong. Enfin le Khaghan envoya la réponse que voici :

« Je ne suis plus loin, à présent, d’occuper la capitale Daï-Tou des Daï-Mings ; après que j’aurai achevé ma besogne séculière, j’inviterai les deux Divins Lamas ; à leurs pieds j’adorerai et je maintiendrai la religion du Bouddha. »

Dès ce moment la situation respective de la dynastie mandchoue des Daï-Thsing, qui règne encore, et du Dalaï-Lama était fixée. Taïtsong lui-même, il est vrai, n’eut pas l’occasion de tenir sa promesse. Il mourut dès 1643. Et, son fils étant mineur, il semblait un moment que tout fût de nouveau en question. Mais une nouvelle révolution de palais à Pékin donna aux grands généraux mandchous un prétexte d’intervention. En 1644, ils occupèrent, presque sans résistance, la ville impériale et installèrent sur le trône le fils de Taïtsong, Eyébère Sassaktchi.

La dynastie mandchoue eut bientôt honte de dépendre des deux hommes-dieux du Thibet. Mais il fallait être en bons termes avec eux, ou renoncer au gouvernement pacifique de la Chine. En 1651, le Pantchen-Lama et le Dalaï-Lama furent invités à Pékin. Les historiographes mandchous-chinois sont sobres de détails sur cet événement pourtant gros de conséquences.

On conclut à ce moment une espèce de concordat qui stipulait : d’une part, la suprématie spirituelle du Dalaï-Lama sur tous les bouddhistes, l’indépendance intérieure du Thibet dont le Dalaï-Lama resterait le roi politique, le monopole clérical du commerce au Thibet ; d’autre part, l’obligation pour l’Empereur de maintenir l’intégrité territoriale du Thibet. Ce fut, en fait, la victoire absolue des Lamas sur l’Empereur. Comme indice formel de sa vague vassalité, le Dalaï-Lama voulut bien s’engager à envoyer de cinq en cinq ans des présents à l’Empereur : ce fut, une fois, une dizaine de chameaux blancs, d’autres fois une pelisse de lynx, quelques tigres en cage, une icône incrustée de pierreries, des éléphants, une relique, une Écriture-Sainte en lettres dorées, ou tout autre tribut qui ne pouvait que très illusoirement dédommager l’Empereur de ce qu’avait d’incertain la faveur cléricale, seule garantie pourtant du sort de la dynastie.

À mesure, du reste, que le régime mandchou s’infiltrait dans les provinces méridionales de l’Empire, il perdait de sa popularité ; il était regardé comme un régime étranger. Là, l’influence du clergé bouddhique