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Dalaï-Lama, suivons de nouveau la voie lumineuse tracée par nos aïeux : c’est la voie du bonheur. »

Le Dalaï-Lama fut ainsi créé en à 1576.

Fort de son autorité neuve, mais peu confiant en l’étoile des princes mongols, le pape bouddhique dirigea toute la force cléricale sur la Chine, bouddhique depuis longtemps, mais où il importait, pour rester en tout cas l’arbitre de la situation, d’inculquer à l’esprit populaire des conceptions papistes assez fortes pour contrebalancer toute influence séculière. L’impuissance de la dynastie Ming, qui, d’ailleurs, avait toujours négligé l’Église, lui facilita cette tâche. Enfin, vers 1640, les circonstances étaient telles que la population se sentait plus soumise à la volonté du Dalaï-Lama qu’à celle de l’Empereur. Le Dalaï-Lama disposait virtuellement du trône de Pékin.

À ce moment était apparu à l’est des monts Tchin-gan, chez les Tongouses, un conquérant qui, en plus petit, répéta la carrière grandiose de Djinghiz-Khaghan. Ce fut Taïtsong Khungtaïdji. Son élan fut irrésistible. Le Dalaï-Lama l’obligea par deux fois : usant du prestige de son autorité spirituelle, il lui soumit pacifiquement les princes mongols, puis, quelques années plus tard, il lui dénonça à temps une grande révolte de ces mêmes princes (qui venaient d’attaquer le Dalaï-Lama pour se venger).

Taïtsong entreprit de renverser la dynastie Ming, ce qui était facile. Mais consolider sa propre dynastie sur le trône de Pékin était plus ardu. Il comprit que, sans l’appui de l’autorité de l’homme-dieu de Lhassa, tout gouvernement pacifique en Chine serait impossible. Il saisit donc l’occasion d’obliger à son tour celui qui disposait des âmes de cent millions de croyants : il dompta la révolte mongole et se résigna à l’influence cléricale.

Dès lors, son grand rêve dynastique était réalisable. Le renversement de la dynastie Ming n’était plus qu’une question de temps. Mais ce temps devait logiquement être employé, d’un côté par le Dalaï-Lama pour s’assurer la direction spirituelle de l’empereur présomptif, de l’autre côté par le Khaghan pour s’assurer le concours pacifique du clergé et, si possible la suzeraineté politique du Thibet, comme l’avait eue Khoubilaï.

C’est le Dalaï-Lama qui prit l’initiative de ce jeu diplomatique. Il envoya à Moukden, la résidence du Khaghan, le meilleur de ses diplomates, Gouyouçri Tsordji, auquel il avait conféré le titre honorifique d’Haghouksan Khoutouktou. Celui-ci arriva à Moukden en 1642 et remit au Khaghan le message du Dalaï-Lama b’Lo-b’Dsang :

« Si l’on contemple la multitude d’autres créatures sujettes à la révolution des naissances dans les trois mondes, on constate que le bonheur d’obtenir le noble corps humain est encore plus rare que l’apparition d’une étoile en plein jour. Parmi ces apparitions rares, cependant, celle d’un monarque qui dompte l’univers est aussi rare que la découverte de la pierre philosophale