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l’après-midi la zone boisée qui borde la Platte du Nord et en marque les sinuosités à travers le vaste parquet uni des Plaines devint visible. À quatre heures nous passâmes un bras de la rivière ; à cinq heures nous passâmes la Platte elle-même et nous atterrîmes à Fort-Kearney à cinquante-six heures de St-Joseph, et à 483 kilomètres.

Voilà ce que c’était que courir la poste sur la grande ligne de terre, il y a dix ou douze ans, quand il n’y avait peut-être pas en Amérique dix personnes bien comptées qui s’attendissent à vivre assez pour voir un chemin de fer suivre cette route jusqu’au Pacifique. Aujourd’hui le chemin de fer est là, pourtant, et mille comparaisons et contrastes cocasses se peignent à mon esprit quand je lis, dans le Times de New-York, le compte rendu suivant d’une excursion récente au pays même que je viens de décrire. Je puis à peine comprendre le nouvel état des choses.

« À TRAVERS LE CONTINENT

« Dimanche, à 4  h.  20 du soir, nous roulâmes hors de la station d’Omaha et partîmes vers l’ouest pour notre longue course. Une couple d’heures après, on annonça le dîner, un événement pour ceux d’entre nous qui avaient encore à éprouver ce que c’est que de manger dans l’un des hôtels roulants de Pullman ; donc, passant dans la première voiture en avant de notre palais-dortoir, nous nous trouvâmes dans le wagon-salle à manger. Ce fut une révélation pour nous que ce premier dîner de dimanche. Et bien que, chaque jour, pendant quatre jours, nous ayons déjeuné, dîné et soupé, notre compagnie tout entière ne cessa d’admirer la perfection des arrangements et les merveilleux résultats obtenus. Sur des tables couvertes d’un linge de neige et garnies de services en argent massif, des serviteurs d’Éthiopie en costumes d’une irréprochable blancheur placèrent comme par magie un repas dont Delmonico lui-même n’aurait pas eu sujet de rougir ; et même, à quelques égards, il serait difficile à ce chef distingué d’égaler notre menu ; car, outre tout ce qui constitue ordinairement un dîner de première catégorie, n’avions-nous pas notre côtelette d’antilope (le gourmet qui n’en a pas goûté, ah ! que sait-il du festin des prémices de la terre ?), notre délicieuse truite du ruisseau de la montagne, des fruits de choix, et (sauce piquante et inachetable) notre air des Prairies, embaumé, et obligatoirement apéritif. Vous pouvez en être sûrs, nous fîmes justice à ces bonnes choses, et tout en les arrosant de rasades de Krug mousseux pendant que nous filions cinquante kilomètres à l’heure, nous convînmes que nous n’avions jamais mené la vie à plus grandes guides.

« (Nous battîmes ce record, deux jours après, en faisant 43 kil. 5 en 27 minutes sans que nos verres pleins jusqu’au bord répandissent une goutte de Champagne.)