Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas, parce qu’il ne tenait pas à encourager les avances d’un chef de station. Nous avions des serviettes dans notre valise : elles auraient pu aussi bien être au fond de la Mer Morte. Nous (et le conducteur) nous servions de nos mouchoirs et le cocher de son pantalon et de ses manches. À côté de la porte, à l’intérieur, était accroché un vieux petit cadre de miroir contenant dans un coin inférieur deux petits fragments du miroir primitif. Cette combinaison vous offrait à la vue, quand vous vous regardiez, un portrait à deux coups, avec une moitié de votre tête surélevée de cinq centimètres au-dessus de l’autre moitié.

À ce cadre de miroir était suspendu un demi-peigne au bout d’une ficelle, mais s’il me fallait décrire ce patriarche ou mourir, je crois que je me commanderais des échantillons de cercueils. Il remontait à Esaü et à Samson et depuis avait toujours été en accumulant des cheveux, ainsi que certaines impuretés. Dans un coin de la pièce trois ou quatre carabines ou mousquets étaient rassemblés avec des cornes à poudre et des sachets de munitions. Les gens de la station portaient des pantalons d’étoffe grossière de fabrication rustique, dont le fond et les entrejambes étaient doublés d’amples applications de basane faisant fonctions de jambières quand l’homme montait à cheval, de sorte que ce pantalon moitié bleu sombre et moitié jaune était inexprimablement pittoresque. Il était fourré dans de hautes bottes, aux talons armés de grands éperons espagnols dont les barrettes et les chaînettes de fer cliquetaient à chaque pas. L’homme portait une barbe et des moustaches immenses, un vieux chapeau mou, une chemise de laine bleue, pas de bretelles, pas de gilet, pas d’habit, dans une gaîne de cuir à la ceinture, un grand et long revolver de marine (suspendu à droite, le chien en avant), et, ressortant de sa botte, un couteau bowie-knife à manche de corne. Le mobilier de la cabane n’était ni fastueux ni encombrant. Les chaises à bascule et les canapés étaient absents et l’avaient toujours été mais s’étaient fait représenter par deux tabourets à trois pattes, un banc de sapin de quatre pieds de long et deux caisses à chandelles, vides. La table était formée d’une planche graisseuse sur tréteaux et ni la nappe ni les serviettes n’étaient venues, on ne les attendait pas non plus. Chaque homme avait devant lui un plat d’étain bossué, un couteau et une fourchette, une chopine d’étain et le cocher avait une soucoupe de terre de fer qui avait vu de meilleurs jours.