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de Brobdignac, guettant un petit citoyen de l’endroit pour le manger.

C’est la miniature exquise de l’imposant monarque de la forêt que ce buisson de sauge. Son feuillage est d’un vert grisâtre et donne cette teinte au désert et à la montagne. Il a l’odeur de notre sauge domestique et la tisane de sauge fabriquée avec a le goût de celle que tous les enfants connaissent si bien. Le buisson de sauge est une plante singulièrement rustique et pousse en plein dans l’épaisseur du sable et parmi les rocs dénudés où rien, dans le règne végétal, n’essaierait de croître, excepté le « bunch grass ». Les buissons de sauge poussent à une distance de trois à six ou sept pieds l’un de l’autre, sur toute la surface des montagnes et des déserts de l’Extrême-Occident jusqu’à la frontière de la Californie. Il n’y a aucune espèce d’arbres dans le désert, pendant des centaines de kilomètres, il n’y a aucune végétation dans un véritable désert, excepté le buisson de sauge et son cousin le « bois à graisse » qui lui ressemble tellement, que la différence entre eux est nulle. Les feux de bivouac et les dîners chauds seraient impossibles dans le désert sans le buisson de sauge ami. Son tronc est aussi gros que le poignet d’un enfant (et va jusqu’à l’épaisseur du bras d’un homme) et ses branches anguleuses sont moitié aussi grosses que son tronc ; le tout forme un bois dur, sain, excellent, qui ressemble beaucoup à celui du chêne.

Quand une troupe bivouaque, la première chose à faire est de couper des buissons de sauge ; et au bout de quelques minutes, on en à une pile opulente toute prête. On creuse un trou d’un pied de large, de deux pieds de profondeur et de deux pieds de longueur, et on casse la sauge et on l’y brûle jusqu’à ce qu’il soit plein jusqu’au bord de charbons allumés. Puis on se met à faire la cuisine et il n’y a pas de fumée, et par conséquent pas de jurons. Un feu semblable dure toute la nuit et n’a que très peu besoin d’être rechargé ; il constitue un feu de bivouac très sociable et autour duquel les réminiscences les plus impossibles paraissent plausibles, instructives et profondément amusantes.

Le buisson de sauge est un très bon combustible, mais en fait de légume, c’est un insuccès signalé. Aucun être ne peut en souffrir le goût, excepté le lapin-bourricot et son fils illégitime, le mulet. Mais leur témoignage concernant ses facultés nutritives est sans valeur, parce qu’ils mangent des pommes de pin, de l’anthracite, du fil de laiton, des tuyaux de plomb, des