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passer une lourde malle de voyage pour 25 livres de bagages, parce qu’elle pèse beaucoup plus. Cependant c’était tout ce que nous pouvions emporter, 25 livres chacun. Ainsi nous dûmes nous précipiter sur nos malles, les ouvrir, y opérer un triage en un rien de temps. Nous réunîmes nos 25 livres par tête réglementaires dans la même valise et nous réexpédiâmes par eau nos malles à Saint-Louis. Ce fut une triste séparation, car maintenant nous n’avions plus d’habits à queue ni de gants de chevreau blancs à mettre aux réceptions pawnies dans les montagnes Rocheuses, plus de chapeaux tuyaux de poêle, ni de bottines vernies, ni aucune des autres choses nécessaires à qui ambitionne une vie calme et paisible. Nous étions réduits au pied de guerre. Chacun de nous endossa un habillement de drap lourd et rude, y compris une chemise de soldat en flanelle, et des bottes de pionnier, et dans la valise nous empilâmes quelques chemises blanches, du linge et des objets de toilette. Mon frère, le Secrétaire, emporta environ trois kilos de Dictionnaire complet, car nous ne savions pas, pauvres innocents, que ces choses-là s’achetaient à San-Francisco la veille et arrivaient le lendemain à Carson City.

J’étais armé jusqu’aux dents avec un misérable petit Smith et Wesson à sept coups, du même calibre que les pilules homéopathiques ; il fallait les sept coups complets pour faire une dose pour adulte. Moi, je trouvais ça grandiose. Il me semblait que c’était là une arme dangereuse. Elle n’avait qu’un défaut, on ne pouvait rien atteindre avec. Un de nos « conducteurs » s’en servit quelque temps contre une vache : tant que la bête se tint immobile et resta sage, elle ne courut aucun danger ; mais dès qu’elle commença à circuler et qu’elle cessa de servir de cible au tireur, il lui arriva malheur. Le Secrétaire portait en bandoulière un revolver Colt de petit volume en guise de protection contre les Indiens ; crainte d’accidents il ne l’avait pas chargé. M. Georges Bemis était sinistrement formidable. Georges Demis était notre compagnon de voyage. Nous ne l’avions jamais vu auparavant. Il portait à la ceinture un vieil « Allen » authentique, ce que les gens irrévérencieux appelaient un « moulin à poivre ». Le seul fait de presser sur la détente, armait et faisait partir le pistolet. Pendant la course de la détente, le chien se mettait à se lever et le barillet à tourner et tout d’un coup le chien s’abattait et la balle filait. Viser le long du barillet en mouvement et atteindre l’objet visé était un exploit qui n’avait probablement jamais été accompli sur la terre avec un « Allen ». Mais l’arme de Georges