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profondeur et le caractère intérieur de sa conception du monde, on s’est toujours demandé comment cet avantage pourrait être employé à un développement heureux du caractère national, et de là à une influence favorable sur l’esprit et la nature des peuples voisins, alors que jusque-là visiblement, des influences de cette sorte ont eu sur nous une action plus très nuisible qu’utile.

Si nous comprenons bien maintenant les deux conceptions poétiques fondamentales qui se croisent comme deux grandes artères dans la vie du plus grand de nos poètes, nous avons par là la voie la plus sûre pour déterminer le problème qui s’offrit à cet Allemand libre en tous, au début de son incomparable carrière artistique. Nous savons que les conceptions de « Faust » et de « Wilhelm Meister » se manifestèrent à la même époque, lorsque le génie du poète était à son premier épanouissement. La passion profonde qui animait sa pensée le porta tout d’abord à écrire les premières pages de Faust, puis, comme effrayé de l’énormité de sa propre conception, il se détourna de sa puissante ébauche et chercha, dans Wilhelm Meister, à concevoir le problème sous une forme plus calme. En pleine maturité il acheva ce roman d’allure facile. Son héros, fils de bourgeois allemand, se cherche une manière d’être, sûre et agréable. Il essaie du théâtre, traverse la société noble, et aboutit à un cosmopolitisme avantageux. Le poète nous émeut quand il nous laisse entendre clairement que Mignon a été l’objet d’un grand crime. Il ne laisse pas son héros s’arrêter à cette impression, il le transporte dans une sphère délivrée de toute violence et de toute excentricité tragique, et lui donne une belle éducation. Il le promène dans une galerie de tableaux. À la mort de Mignon on fait de la musique, et cette musique Schumann l’a réellement écrite plus tard. Il parait que Schiller était révolté du dernier livre de Wilhelm Meister ; cependant il ne sut pas tirer son grand ami de son étrange aveuglement ; il pouvait admettre que Gœthe, qui avait composé Mignon et avait, avec cette création appelé à la vie un nouveau monde merveilleux, était au plus profond de son rêve intérieur, tombé en proie à une distraction d’où il ne pouvait l’éveiller.

Gœthe seul pouvait s’éveiller lui-même — et il s’éveilla. Car à l’âge le plus avancé il acheva son Faust. Ici l’objet qui le distrait de son rêve est un type original de toute beauté : Hélène. C’est elle-même l’idéal antique complet et absolu qu’il évoque du royaume des ombres et qu’il marie à son Faust. Mais l’ombre ne peut être fixée et elle s’évapore en un beau nuage qui fuit au loin, et que Faust suit dans une songerie mélancolique et cependant dénuée de souffrance. Gretchen seule a pu le délivrer. Du monde des bienheureux, la tôt-sacrifiée, qui cependant vit toujours au plus profond de son être, lui tend la main. De même qu’au cours de notre investigation nous avons tiré des comparaisons analogiques de la philosophie et de la physiologie, si nous voulons donner à l’œuvre poétique la plus profonde, une signification à notre usage, nous verrons dans la parole : « tout ce qui est périssable n’est que symbole », l’esprit de l’art plastique vers lequel Gœthe si longtemps et si