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Beethoven[1]

On ne manquera pas de dire à celui qui se laissera persuader à adopter les vues sur la musique de Beethoven, qu’il extravague et qu’il bat la campagne, et ce ne seront pas seulement nos musiciens d’aujourd’hui, cultivés ou non, qui lui feront ce reproche, eux qui ne connaissent du visage de rêve que ce qu’ils en ont vu sur le programme du Songe d’une Nuit d’été ; il y a aussi les littérateurs et les artistes en tant encore qu’ils s’inquiètent de questions qui paraissent entièrement en dehors de leur sphère. Nous supportons tranquillement ce reproche, même exprimé dédaigneusement et avec l’affectation blessante de vouloir passer outre. Car il nous apparaît évident que ces gens-là ne sont pas capables de distinguer ce que nous voyons ; au cas le plus favorable, ce qu’ils en pourraient distinguer leur ferait prendre conscience de leur stérilité ; on comprend qu’ils reculent devant une telle perspective.

Si nous nous représentons le caractère du monde littéraire et artistique actuel, nous observons qu’une notable transformation s’y est opérée dans l’espace d’une génération. Dans ce monde, c’est une espérance, une presque certitude que la grande période de la Renaissance allemande avec ses Gœthe et ses Schiller ne mérite qu’une estime médiocre. Il y a une génération, il en était autrement. Le caractère de notre époque se donnait pour essentiellement critique, on caractérisait l’esprit du temps comme un esprit « de papier » ; on attribuait aux arts plastiques, confinés dans l’assemblage et la mise en œuvre des types traditionnels, une action purement reproductrice et dépourvue de toute originalité. Sous ce rapport, cette époque voyait avec plus de vérité et s’exprimait plus honnêtement que l’époque d’aujourd’hui. Si cependant, en dépit de l’attitude présomptueuse de nos littérateurs, sculpteurs et constructeurs littéraires, et autres artistes en commerce avec l’esprit public, il y avait quelqu’un de l’opinion d’autrefois, nous pourrions plus facilement nous en faire comprendre, quand nous entreprenons de placer dans son vrai jour l’importance incomparable que la musique a acquise pour le développement de notre civilisation : dans ce but, après nous être abîmés dans la contemplation de ce monde intérieur, objet de notre recherche précédente, nous nous tournons exclusivement vers le monde extérieur dans lequel nous vivons et sous la pression duquel notre être intérieur s’est rendu maître d’une force qui lui est maintenant propre et qui réagit au dehors.

  1. Voir la La revue blanche des 15 août et 1er septembre 1901. — Nous disions dans la note liminaire (no  du 15 août, page 561) notre intention de laisser de côté une partie de cet opuscule, trop étrangère à la musique et à Beethoven. C’est pourtant cette partie que nous publions aujourd’hui : — abstraction faite d’une crise de chauvinisme, elle contient encore des vues esthétiques intéressantes. Ainsi nos lecteurs auront eu sous les yeux le Beethoven tout entier de Wagner, avec le spectacle de Wagner en « miles gloriosus ».