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LA REVUE BLANCHE


fisqua chez qui pense, discourt ou narre presque le droit à s’énoncer… Le Vers, je crois, avec respect attendit que le géant qui l’identifiait à sa main tenace et plus ferme toujours de forgeron vînt à manquer, pour, lui, se rompre. Toute la langue, ajustée à la métrique y recouvrant ses coupes vitales, s’évade selon une libre disjonction aux mille éléments simples ; et, je l’indiquerai, pas sans similitude avec la multiplicité des cris d’une orchestration qui reste verbale. » (Divagations. p. 230.)


La réforme poétique était préparée, ébauchée plusieurs années avant la mort d’Hugo ; et il ne faudrait pas s’exagérer la coïncidence de sa disparition et de la diffusion du mouvement vers-libriste : pour qu’on ajoutât en proportions notables à sa vision, à sa disposition des ressources de la langue (en matière poétique) et qu’on franchît un degré de l’évolution il avait fallu que passât un certain nombre de générations, et celle qui entreprit résolument de substituer une esthétique neuve à l’esthétique romantique ne fut tout à fait prête qu’à sa mort. Mais la phrase de Stéphane Mallarmé demeure très juste pour les Parnassiens et caractérise leur nuance de vénération.

Ici une remarque est nécessaire.

On peut admirer Hugo, sans l’admirer exactement de la même façon, au même degré, ni identiquement au même titre que le font les poëtes parnassiens. Ce n’est que pour eux qu’il est exactement le Père. De plus, le fait d’admirer Hugo ne comporte point, pour un poëte nouveau, en rigoureux corollaire, un sentiment tbut pareil pour ses admirateurs, disciples ou imitateurs, pour les défenseurs de ses principes et de sa technique. Au contraire, cette admiration aveugle et étendue méconnaîtrait gravement l’essence rénovatrice du génie d’Hugo. Si Hugo, à ses débuts, avait été d’un autre avis que celui que nous exprimons ici, il ne se fût pas cru le droit d’attaquer Luce dé Lancival, à cause du culte de ce poëte pour Racine, ni Viennet, qui se plaçait sous l’égide de La Fontaine et des grands tragiques. Sans établir aucune parité entre Lancival, Viennet et les poètes parnassiens, il faut se rendre compte que Lancival et Viennet étaient des élèves de Racine, de même que les Parnassiens le furent d’Hugo, à cela près qu’ils n’aimèrent point personnellement Racine, nuance morale importante, mais nuance sans valeur, esthétiquement. Dans leur lutte contre les Classiques, les Romantiques admirent qu’il valait mieux renverser en bloc, et condamner Racine en même lemps que Lancival plutôt que de tenir compte à ce dernier de ses affinités électives avec le maître d’Athalie.

Nous n’avons point été si injustes : tout en prenant bonne note de tout ce que les Parnassiens doivent à Hugo (ce qui est nécessaire pour les étudier), nous isolons Hugo comme il doit l’être, sauf rapports avec ceux de son temps d’origine et de développement et ne le reconnaissons responsable que de son œuvre. On doit aux Parnassiens de les juger en eux-mêmes. Le fait qu’ils exercerait une technique traditionnelle n’augmente en rien leur valeur ; un groupe n’est riche que de ses