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toute-puissante, ni anthropomorphisation des prémisses primordiales, mais une métaphysique éblouissante, une recherche sagace, enthousiaste et victorieuse des principes premiers. Le Chinois est positiviste. Il ne se contente pas des platitudes ataviques et vagues qui règnent sur l’esprit occidental encore de nos jours. Quand Lao-tsze, le plus grand penseur de l’humanité, le merveilleux métaphysicien dont Kong-tsze prit le principe pour en déduire sa sociologie, il y a vingt-cinq siècles, formula dans toute sa splendeur l’axiome de l’évolution (contestée en Europe encore maintenant), la laborieuse, fantastique et romantiquement inutile histoire philosophique de l’Occident se trouvait devancée avant même son commencement. Les propositions de la nature de Dieu, spectres de l’enfantillage anthropomorphisateur indo-européen, qui hantaient jusqu’à Voltaire et Comte, et que Nietzsche lui-même était encore forcé de conjurer ; le théorème de l’immortalité de l’âme, manifestation d’un esprit rudimentaire qui ne sait encore différencier l’homme et le milieu ; tout cela avait déjà été banni du cercle de la logique : c’était déjà illogique, et l’esprit se trouvait délivré d’innombrables préoccupations inutiles, sinon nuisibles, qui pèsent encore sur l’intellectualité moyenne de l’Occident.

Jamais ils n’ont eu besoin d’une critique de la raison « pure » ou « pratique ». Ah, les rires qu’on entend, quand à des savants chinois on lit, en chinois, les platitudes éhontées et astucieuses, par lesquelles Kant arrive de son impératif catégorique illusoire à la reconstruction de tout un déisme insipide et populacier !

Le Chinois, depuis vingt-cinq siècles n’a plus varié… quant au fond de son intellectualité : car la critique était faite, donc inutile. Morale, conscience, caractère, les trois phénomènes psychiques les plus intéressants au point de vue social, tout est intact, parce qu’inébranlable, parce que fondé sur une logique débarrassée de tout ce qui n’est pas conforme à la stricte réalité.

Les vieux sages nationaux, ceux qui sont la fin de la « lutte pour la logique » antérieure, mais non plus connue de nous, le Chinois les écoute encore : car ils lui donnent la base stable, sur laquelle il érigera sa vie.

Point n’est besoin de citer les sublimes constatations de Lao-tsze, les conclusions délayées, popularisées, et d’autant plus efficaces de Kong-tsze, les théorèmes sociologiques de Meng-tsze et les innombrables traités de philosophie appliquée que nous montre la bibliographie chinoise.

Piété filiale, harmonie familiale, aspiration sociale : tenu en équilibre par les liens également forts de ces trois coordonnées, on se trouve dans l’ « immuable milieu ». Voilà l’idéal.

Mais, piété filiale, harmonie familiale, aspiration sociale : ce sont des dispositions individuelles, des dispositions même passionnelles. Et ces dispositions devraient, dans la théorie, s’équilibrer.

Non la famille, non le respect, non l’égotisme : aucune de ces trois choses n’est apothéosée dans la sociologie chinoise.