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industrieux : le côté extérieur de la vie ne l’opprime pas. Et la vie lui est indifférente. À la moindre contrariété, il est capable de s’ouvrir le ventre et de mourir, stoïquement : parce que lui-même il en décide ainsi. De maladies, il meurt sans regret, calme, stoïque parce qu’il se voit dans l’enchaînement fatal et continu de la marche du monde. Dans la guerre, il fuit la mort : car la guerre, immorale, interrompt le cours de la nature ; se laisser tuer à la guerre, c’est le crime, c’est prêter assistance aux bêtes féroces qui, en tuant, s’insurgent contre l’éternelle continuité de la vie de l’univers.

Ah, la clarté, la sublime clarté des principes de ces « lâches ! »

Même clarté, encore, dans ce que les Européens, prétentieux et bornés, s’obstinent à vouloir appeler la religion des Chinois.

Le Chinois est-il monothéiste, polythéiste, athée ? Il n’est rien de tout cela, et, résultat splendide, il est religieux. Les idées chamaniques millénaires, qui n’étaient que l’anthropomorphisation simpliste des phénomènes naturels, furent subtilisées par la philosophie sociale de Kong-tsze et Lao-tsze au point de ne plus constituer que des symboles à l’usage des foules. Et si, plus tard, les foules populaires ont montré ce trait caractéristique de toutes les foules, qui consiste à reconstruire, derrière les symboles, des réalités, c’est un fait qui relève du folklore et non de la religion, de même que cela se présente chez tous les peuples. Les superstitions populaires chez les Chinois ne sont au fond que la concrétisation de symboles qui étaient à la philosophie sociale ce que l’art grec était à la morale chrétienne. Mais ce qui est admirable, c’est que ces superstitions se soient, sous les coups de la philosophie, mises en dehors du flux de la vie sociale, enkystées dans la rigidité du rite, et que le système des trois « coordonnées », « relations « ou » dimensions » sociales soit devenu, en même temps, croyance religieuse, théorie philosophique et pratique sociale.

Dans ces conditions, il n’est que naturel qu’une nouvelle croyance, plutôt un nouveau système de superstitions, le bouddhisme déchu du Yogatchara et le bouddhisme transformé du Thibet, n’ait point changé les conceptions raisonnées qui dominaient déjà en Chine. Le peuple chinois en a pris certains symboles pittoresques et mystiques, tout en les modelant à son image. Ce sont des emprunts, c’est une superposition d’extériorités qui n’a jamais rien eu à faire ni avec le fond du bouddhisme, ni avec le fond de la « socialité » chinoise : et cela d’autant moins que les principes de la morale bouddhique, en tant qu’ils sont réalisables dans la vie, sont identiques aux principes de la philosophie chinoise.

Ainsi, à un moment où les autres peuples se construisaient de monstrueux échafaudages de croyances pour appuyer les règles de conduite indispensables dans la vie en commun, les Chinois basaient déjà ces mêmes règles sur le savoir. D’emblée, il n’y eut chez eux ni mythologie