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caractéristiques, les deux derniers sont des unités créées exclusivement sur la base de la troisième relation « dirigeant et dirigé » ; ils n’ont, comme tels, aucune signification pour la vie, la force, la valeur, l’avenir d’un peuple ou d’une nation. Aussi longtemps que la pseudo-science occidentale pataugera dans la confusion (due aux sophismes étatiques des Romains) entre nation et état, entre civilisation et politique, entre vie populaire et artifice de désœuvrés, il sera impossible de sortir des immondices sous lesquelles des écrivains prétentieux et ridicules ont enseveli les données limpides de la simple observation ethnologique).

La Chine donc, comme unité nationale, est bien réellement un type unique. Et cela constitue en même temps sa grande force et sa petite faiblesse.

Sa faiblesse : parce que la rigidité du système des trois coordonnées sociales maintient une discipline morale et sociale, en la faisant reposer exclusivement sur deux éléments qui la peuvent bien rendre indestructible, mais qui peuvent aussi bien s’écrouler par suite de simples divergences de sentiments individuels : l’amour et le respect. (Et nous voyons ainsi que, ces deux dispositions sentimentales éteintes dans un individu, ce dernier se trouve aussitôt hors du système social, être anti-social, criminel).

Sa force : parce que cette discipline, fortifiée par l’hérédité, la sélection, l’adaptation, devient l’immense canevas qui sert en même temps de champ de manœuvre et de guide de la vie. Il y a dans cette discipline psychique, dans la création d’une unité psychique (laquelle seule peut être le signe distinctif d’une nation), la colonne vertébrale et le crâne, et la moelle épinière et le cerveau d’un peuple. Ses mouvements réflexes, subconscients, en dépendent comme ses actions conscientes d’apparence ; il y a l’appui qui assure son unité ; il y a aussi le réservoir de son intelligence, le schéma de sa logique, les conduits de sa volonté. L’unité de la conception et du sens de la vie devient ainsi parfaite : la « troisième relation », confondue dans cette unité, n’est pas ressentie comme une opposition aux deux autres. La coordonnée « dirigeant et dirigé », c’est-à-dire, dans la forme européenne, l’idée de gouvernement, politique, État, régime, disparaît en tant que source de dissentiments. La vie du peuple, psychiquement un et indivisible, résume tout. L’État, superflu, inexistant comme organisation différente de celle de la vie populaire, ne saurait être l’objet de raisonnements ou d’actions populaires. Voilà pourquoi, en Chine, des révolutions, des révoltes, des critiques politiques sont de suite des révoltes contre l’unité civilisatrice du peuple : des crimes. Seul l’Occident barbare a pu prétendre qu’une nation qui ne se révolte pas ne progresse pas. Au contraire, ce qui se révolte n’est pas une nation, mais une agglomération d’individus qui n’a pas su s’organiser de façon à ce que la catégorie « dirigeant et dirigé » soit coordonnée aux deux autres. La nation commence où l’État cesse. Une nation progresse à mesure que son unité psychique s’accentue. Un État qui progresse est l’État qui détruit