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Vous trouverez des peuples où la première de ces « relations » est tout, mais l’État à peine soupçonné, comme chez les tribus nomades des Maures et des Touaregs.

Vous trouverez des peuples où l’ensemble des deux premières relations possède des droits portés au plus haut degré de puissance, où le père peut condamner à mort la mère ou l’enfant, mais où, en dehors de ce système patriarcal, et même en opposition complète avec lui, la troisième « relation », celle entre dirigeant et dirigé, agit sous le masque de l’État, gardant une autonomie d’autant plus complète qu’elle jette le désarroi dans le système patriarcal, entrave son fonctionnement, restreint et, au besoin, annule la prérogative paternelle, enfin détruit l’unité de l’organisation sociale et crée des complications psychiques qui empêchent le développement naturel des individus.

Vous trouverez des peuples où cet antagonisme entre l’ensemble des deux premières relations et la troisième devient aigu : l’État et la maison familiale, luttant pour la possession de la progéniture ; c’est alors l’incohérence du système social, la contradiction constante entre la morale de l’État (troisième relation, arrivisme, égoïsme, suppression du sentiment, dirigeant ou dirigé) et la morale naturelle (ensemble des deux relations purement familiales, attachement filial ou amoureux, passion, supra-utilitarisme, mouvements instinctifs) ; ces peuples qui usent leurs forces dans cette lutte intérieure inconsciente sont les plus malades, les plus inquiets, les plus près de l’agonie (l’Occident).

Vous trouverez enfin, non plus des peuples, mais des agglomérations d’individus où les deux premières relations n’ont plus d’efficacité, où la troisième, le principe de hiérarchie étatique, seule dirige, où la base de la vie en commun est une base politique : monarchique, oligarchique, communale, républicaine…

Vous ne trouverez pas un autre peuple comme le peuple chinois : les trois relations se confondant à titre égal pour former non pas un État qui serait une amplification de la famille, mais une vaste société coopérative et mutuelle de civilisation qui n’a pas besoin d’être « dirigée » dans son ensemble, qui n’a pas besoin d’État, qui institue la relativité mutuelle même de la catégorie « dirigeant et dirigé », et qui pour cela constitue une unité au point de vue civilisation, mais ne connaît même pas le point de vue État ou politique.

(L’esprit européen est, à ce qu’il semble, encore trop grossier pour savoir faire la distinction, nécessaire et assez palpable déjà aux Chinois, entre « peuple », « nation », « État » et « patrie ». Tout cela est, pour le pauvre Occidental, plus ou moins la même chose ; mais ce n’est peut-être pas une raison pour en faire pâtir les Orientaux. Il est absolument nécessaire d’ériger une infranchissable barrière logique au moins entre les groupes « peuple, nation ». et « état, patrie ». Car si les deux premiers sont considérés comme unités sociales basées sur la coopération des « trois relations », voire des groupements qui se distinguent par des atavismes, croyances, mœurs, habitudes, civilisations