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Pour voir comment procède l’artiste avec la construction suivant les notions de raison, rien n’est d’un enseignement plus profitable qu’une conception exacte du procédé suivi par Beethoven dans le développement de son génie musical. C’eût été un procédé de raison s’il avait consciemment transformé ou même renversé les formes extérieures de la musique trouvées antérieurement, mais ici, il n’y a nulle trace de conscience. Jamais certes il n’y eut un artiste qui raisonnât moins sur son art que Beethoven. Par contre, avec son âpre fougue, il souffrit profondément de l’esclavage où ces formes tenaient son génie, il le subit comme une souffrance personnelle et presque aussi directement que toutes les autres contraintes conventionnelles. Mais sa réaction consista uniquement dans l’épanouissement fier et libre d’un génie intérieur que rien, pas même des formes, ne pouvait entraver. Jamais il ne changea fondamentalement une des formes antérieures de la musique instrumentale ; dans ses dernières œuvres, sonates, symphonies, quatuors, etc…, la structure est incontestablement la même que dans les premières. Mais maintenant, comparez-les entre elles, par exemple à la deuxième symphonie en , la huitième en fa majeur et admirez le monde absolument nouveau qui nous apparaît dans cette dernière sous des formes presque identiques à celles de l’œuvre antérieure.

Ici se caractérise encore la nature allemande qui est si profonde et si richement douée qu’elle sait à toute forme donner l’empreinte de son être intérieur, en la remaniant de nouveau de l’intérieur et la préservant de la nécessité d’un bouleversement extérieur. Ainsi l’Allemand n’est pas révolutionnaire, mais réformateur ; aussi garde-t-il pour la manifestation de son être intrinsèque une richesse de formes comme n’en possède aucune autre nation. Cette source profonde paraît être tarie chez le Français : c’est pourquoi tourmenté par les formes extérieures en politique comme en art, il croit devoir les détruire complètement, dans l’illusion que des formes plus commodes se créeront ensuite d’elles-mêmes. Ainsi, chose merveilleuse, sa révolte ne va toujours que contre son propre naturel, qui ne dépasse pas en profondeur cette forme extérieure, cause de son tourment, en laquelle il s’exprime. Par contre, cela n’a causé aucun dommage au développement de l’esprit allemand que notre littérature allemande se nourrît des poèmes français de chevalerie : l’intime profondeur d’un Wolfram von Eschenbach tira d’une matière qui, dans sa forme primitive, nous a été conservée comme une curiosité pure, des types éternels de poésie. Ainsi nous nous sommes assimilé la forme classique des civilisations grecque et romaine, nous avons imité leur langue, leurs vers, nous avons su nous approprier la manière de voir antique, mais nous avons exprimé dans ces formes ce qu’il y avait de plus intime en nous. De même avons-nous reçu des Italiens la musique avec toutes ses formes ; les œuvres inconcevables de Beethoven montrent ce que nous y avons mis.

Vouloir expliquer ces œuvres elles-mêmes serait une entreprise folle. En les reprenant dans leur ordre chronologique, nous verrons