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ces formes dans la musique, au plus profond de sa substance, avoir pu de là renvoyer à l’extérieur la lumière intérieure du Voyant et nous montrer de nouveau ces formes uniquement d’après leur sens intérieur, voilà quelle fut l’œuvre de notre grand Beethoven, qui, par suite, doit être pour nous le génie même de la musique.

Si, nous en tenant à l’analogie souvent invoquée du rêve allégorique, nous voulons imaginer la musique, provoquée par une contemplation intérieure, transmettant à l’extérieur cette contemplation, nous devons admettre comme organe propre, par analogie avec l’organe du rêve, une disposition cérébrale au moyen de laquelle le musicien perçoit d’abord l’En-soi fermé à toute connaissance, — un œil tourné vers l’intérieur qui, dirigé vers l’extérieur, devient organe d’audition. Si nous voulons avoir une copie aussi fidèle que possible de l’image (de rêve) qu’il perçoit de ce monde intérieur, nous la trouvions, en sa forme la plus pressentie, dans un des célèbres chants d’église de Palestrina. Ici le rythme n’est perceptible que par le changement des suites harmoniques d’accords, tandis que, sans celles-ci, comme successions symétriques du temps en soi, il n’existe pas. Ici. la succession de temps est encore si immédiatement liée à l’essence de l’harmonie hors du temps et de l’espace qu’il n’y a nul besoin d’avoir recours aux lois du temps pour la compréhension d’une telle musique. Dans une telle œuvre, cette succession s’exprime presque uniquement dans les plus délicates transformations d’une couleur fondamentale qui nous montre les nuances les plus intimes toutes reliées entre elles par une parenté étendue, sans que nous puissions en ce changement percevoir un dessin de lignes. Maintenant, comme cette couleur même n’apparaît pas dans l’espace, nous obtenons ici une image presque hors de l’espace et du temps, une révélation purement spirituelle qui s’empare de nous et éveille en nous une émotion indicible, car elle porte à notre conscience, avec une incomparable clarté, l’être intérieur de la religion, libre de toute fiction conceptuelle dogmatique.

Représentons-nous maintenant un morceau de musique de danse, ou une phrase de symphonie orchestrale imitant un motif de danse, ou enfin un opéra proprement dit, nous trouvons aussitôt notre fantaisie enchaînée par une ordonnance régulière, dans le retour de périodes rythmiques, et ainsi la pénétration de la mélodie se trouve immédiatement déterminée au moyen de la plasticité qui lui est donnée.

On a très justement caractérisé comme « profane », par opposition à la musique « spirituelle », la musique développée en ce sens. Sur le principe de ce développement je me suis d’autre part suffisamment expliqué ; ici, j’en examine la tendance uniquement dans le sens de l’analogie avec le rêve allégorique, d’après quoi il semble que l’œil du musicien, éveillé maintenant, s’attache aux manifestations du monde extérieur, jusqu’au point où ces manifestations lui deviennent aussitôt compréhensibles selon leur être intérieur. Les lois extérieures, suivant lesquelles cette connexion avec le geste passe finalement à toutes les manifesta-