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Comme je l’ai déjà dit, on a émis sur la musique des opinions tirées exclusivement du jugement des arts plastiques. Si cette erreur a pu se produire, c’est que la musique a dû prendre un contact tout extérieur avec le côté sensible du monde et ses manifestations. Le vrai caractère de l’art musical est incompris aussi longtemps qu’on exige de lui une action analogue à celle des œuvres plastiques. Or il a accompli dans ce sens une véritable évolution. Joignez à cela un véritable avilissement du jugement esthétique sur les arts de la forme, on peut se faire une idée du degré d’abaissement de la musique, car, en principe on exigeait d’elle qu’elle mît complètement à l’écart son essence même pour se borner à nous plaire par son côté tout extérieur.

La musique nous parle uniquement en éveillant en nous avec la plus grande netteté et dans ses nuances les plus diverses l’idée la plus universelle du sentiment obscur en lui-même. Prise en soi et pour soi, elle appartient à la catégorie du sublime, car sitôt qu’elle nous envahit, elle provoque l’extase suprême de la conscience de l’infini. Ce qui n’arrive à nous que comme conséquence de notre anéantissement dans la contemplation de l’œuvre plastique, l’affranchissement de l’intellect du service de la Volonté, libération temporaire ; acquise enfin par le libre-jeu de l’objet contemplé sur notre volonté individuelle, ainsi l’action nécessaire de la Beauté sur l’âme, la musique l’exerce aussitôt en dégageant immédiatement l’intellect des liens extérieurs des choses hors de nous, et comme pure forme, libérée de toute objectivité, nous ferme au monde extérieur en même temps qu’elle nous laisse regarder dans l’être intérieur des choses. Ainsi, tout jugement sur une musique aurait à se baser sur la connaissance des lois suivant lesquelles, partant de l’effet produit par la manifestation de belles formes, qui est l’action première de la musique, on s’élève à la révélation de son caractère essentiel, par l’action du sublime. Le caractère d’une musique qui ne dirait proprement riens erait au contraire qu’elle s’en tînt au jeu chatoyant de sa première manifestation et se bornât par suite à nous maintenir engagés dans les relations extérieures des choses, enne nous présentant que la surface extérieure de la musique, tournée vers le monde sensible.

Longtemps la musique se développa dans ce sens unique, cela par la dispositions systématique de sa construction rythmique qui, d’une part, la fait comparer à la sculpture et, de l’autre, lui a donné une extériorité qui devait précisément l’exposer à un faux jugement par analogie avec les arts plastiques. Étroitement enfermée dans des formes banales et des conventions, elle apparut à Gœthe, par exemple, comme pouvant être d’un usage heureux pour la réglementation des conceptions poétiques. Ne faire que jouer, sous ces formes conventionnelles, avec la richesse énorme de la musique, de manière à éviter, comme un danger, son action propre, c’est-à-dire, la manifestation intérieure de toute chose, voilà qui fut longtemps, au jugement de l’esthéticien, le vrai et seul satisfaisant résultat du développement de l’harmonie. Mais avoir pénétré par