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Ainsi de la nuit du sein maternel, s’éveille l’enfant avec un cri de désir, et la caresse calmante de la mère lui répond : ainsi le jeune homme plein de languides aspirations, comprend le chant séducteur des oiseaux de la forêt, ainsi parle au rêveur la plainte des animaux, du vent, le hurlement furieux de la tempête : sur lui descend cet état de rêve en lequel il perçoit par l’oreille ce que son attention, distraite et trompée par la vue, n’avait pu remarquer : il apprend ainsi que son être le plus intime est un avec l’essence la plus intime de tout cet ensemble de choses perçues et que c’est seulement dans cette perception que lessence des choses hors de lui se reconnaît réellement.

Cet état de rêve où nous plongent, par l’intermédiaire de l’ouïe sympathique, ces manifestations de la nature, cet état de rêve en lequel s’ouvre à nous l’autre monde d’où le musicien nous parle, nous le reconnaissons aussitôt par une expérience accessible à chacun : sous l’action de la musique, notre vue perd sa puissance au point que nous cessons de voir, les yeux ouverts. Cette expérience, on la fait dans toute salle de concert pendant l’audition d’un morceau de musique véritablement prenant. C’est alors le spectacle le plus drôle et aussi le plus laid que l’on puisse imaginer. Si nous pouvions le voir dans toute son intensité, notre attention serait complètement détournée de la musique et nous irions jusqu’à rire, en considérant les mouvements mécaniques des musiciens et l’agitation de tout l’appareil auxiliaire d’une production orchestrale, sans parler de l’aspect vraiment trivial du public. Mais ce spectacle qui occupe uniquement celui qui reste insensible à la musique, ne trouble en aucune façon celui qu’elle enchaîne, c’est la démonstration nette que nous ne le percevons plus avec la conscience et que nous tombons, les yeux ouverts, en un état qui a une analogie essentielle avec la lucidité somnambulique. Et en vérité, c’est en cet état seulement que nous arrivons à être possédés par le monde du musicien. De ce monde, qui ne se décrit avec rien, le musicien, par la disposition de ses sons, jette en quelque sorte le filet sur nous, ou bien encore il arrose notre faculté perceptive avec les gouttes merveilleuses de ses accords, l’enivre et la rend sans force pour toute autre perception que celle de notre monde intime.

Si maintenant nous voulons nous faire une idée quelque peu nette de son procédé, nous le pouvons parfaitement en nous rappelant ses analogies avec le processus intérieur par lequel — suivant l’hypothèse lumineuse de Scliopenhauer — le rêve du plus profond sommeil, entièrement soustrait à la conscience du cerveau éveillé, se traduit en quelque sorte en ce rêve allégorique plus léger qui précède immédiatement le réveil. La langue du musicien, pour parler par comparaison, va du cri d’effroi jusqu’aux harmonies les plus douces. Dans l’emploi de l’infinité des nuances intermédiaires, il est déterminé en quelque sorte par la tendance à une communication intelligible de son rêve le plus intérieur, comme dans le deuxième rêve, le rêve allégorique, il s’approche des représentations du cerveau éveillé par lesquelles celui-ci parvient à s’emparer enfin de l’image de son rêve. Mais, dans ce rapprochement, il