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monde hors de nous ne soit pas complètement identique avec nous : et voilà cet abîme, illusion de la vue, aboli.

Si maintenant de cette conscience immédiate que notre être intérieur est un avec celui du monde extérieur, nous voyons naître un art, il est évident qu’il sera soumis à de tout autres lois esthétiques que les autres arts. En outre, à tous les esthéticiens il a paru inacceptable de tirer d’un élément qui leur semblait purement pathologique un art réel et ils n’ont voulu lui reconnaître une validité qu’à partir du moment où ses créations se manifestaient sous une apparence froide propre aux arts de la forme. Mais son élément pur, comme Schopenhauer la victorieusement démontré, n’est plus seulement contemplé par nous, il est ressenti au plus profond de notre conscience comme une idée du monde, et cette idée nous la comprenons comme une manifestation immédiate de l’unité de la volonté qui, partant de lunité de l’être humain, se manifeste irréfutablement à notre conscience comme une avec la nature que nous percevons par le son.

Si difficile que soit la tâche, nous croyons que le moyen le plus sur pour expliquer l’essence de la musique en tant qu’art, est de considérer le mode de création du musicien inspiré. Sous bien des rapports, il doit procéder tout autrementquelesautresarlistes. Pour ces derniers la création doit être précédée d’une contemplation pure, affranchie de la volonté, identique à celle que l’œuvre d’art doit provoquer ensuite sur le simple spectateur. Mais il n’appartient pas au musicien d’élever, par la contemplation pure, l’objet jusqu’à l’idée. Car sa musique même est une idée du monde en laquelle celui-ci représente immédiatement son être, tandis que dans les autres arts, cet être n’arrive à être représenté que par l’intermédiaire de la connaissance. Alore que chez l’artiste de la l’orme, la volonté individuelle est réduite au silence par la pure contemplation, elle s’éveille chez le musicien comme volonté universelle et, comme telle, au-dessus de toute contemplation, se reconnaît comme proprement consciente de soi. De là donc les situations très différentes du musicien qui conçoit et de l’artiste plastique qui ébauche, de là les effets très différents de la musique et de la peinture. Ici, l’apaisement le plus profond ; là, la plus haute excitation de la volonté : en d’autres termes, ici la volonté est considérée dans l’individu pris comme tel, donc engagée dans l’illusion qu’elle se différencie de l’essence des choses qui existent hors d’elle, là, chez le nmsicien, la volonté se sent aussitôt une au-dessus de toutes les limites de l’individualité, car, par l’ouïe, la porte est ouverte par où le monde pénètre en elle, comme elle en lui. Cette submersion de toutes les limites du monde phénoménal doit nécessairement provoquer chez le musicien enivré un transport sans analogue. Dans cette exaltation la volonté se reconnaît comme volonté toute puissante, elle ne s’est pas retirée muette devant la contemplation, mais elle s’annonce hautement elle-même comme idée consciente du monde. Il n’y a qu’un état qui puisse dépasser le sien : celui du Saint — car le Saint est immuable et inaccessible au trouble, tandis qu’au contraire la vision enivrante du