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nous, de telle sorte que nous retrouvons en ces choses cette même essence fondamentale qui s’annonce dans noire conscience de nous-mêmes comme étant notre être propre. Toute illusion à ce sujet est née simplement de la vue d’un monde hors de nous que nous percevons lumière du jour comme quelque chose d’absolument distinct de nous. C’est seulement par la vue spirituelle des idées et ainsi par une vaste interposition que nous atteignons au premier degré où cesse l’illusion, en ne reconnaissant plus les choses isolées, séparées par le temps et lespace, mais leur caractère en soi ; et ce caractère saffirme en nous avec la plus haute évidence au moyen des œuvres plasticjues dont le caractère essentiel est d’employer l’apparence trompeuse du monde que la lumière développe devant nous à manifester les idées qu’il enveloppe, en maniant cette apparence avec une suprême habileté. À cela tient aussi que la vue des objets en soi nous laisse froids et désintéressés ; c’est seulement à percevoir les rapports des objets avec notre volonté que naissent les excitations de notre système émotif. C’est pourquoi s’impose un premier principe esthétique de cet art ; il faut dans les représentations de lart plastique éviter absolument les rapports avec notre volonté individuelle et préparer au contraire à la vue ce repos dans lequel seul nous est possible cette pure contemplation de l’objet suivant le caractère qui lui est propre. Mais ici ce qui demeure l’élément actif, ce n’est toujours que l’apparence des choses en laquelle nous nous abîmons pendant les instants où la contemplation esthétique s’atl’ranchit de la volonté. C’est aussi ce repos dans le pur plaisir de l’apparence qui, transporté de l’art plastique aux autres arts, a été établi comme principe du plaisir esthétique ; il s’est créé ainsi un concept de beauté (Begriff der Schönheit) qui, dans la langue allemande, se rattache nettement à l’apparence (Schein) comme objet et à la contemplation (Schauen) comme sujet.

La conscience, qui seule dans la contemplation de l’apparence nous a rendu possible la conception de l’idée qui se manifeste par cette apparence, devait enfin se sentir contrainte à s’écrier avec Faust : « Quel spectacle ! Mais aussi rien qu’un spectacle ! Où te saisirai-je, nature infinie ? »

À cet appel répond avec une certitude absolue la musique. Ici le monde extérieur nous parle d’une façon incomparablement intelligible, parce qu’il nous communique par l’oreille, au moyen de sons, absolument cette même chose que, du plus profond de notre être, nous crions à ce monde. L’objet du son perçu coïncide immédiatement avec le sujet du son émis : sans qu’il y ait aucunement besoin de l’intermédiaire des concepts, nous comprenons immédiatement ce que nous dit un cri de détresse, de souffrance ou de joie et nous lui répondons aussitôt dans le sens correspondant. Si le cri émis par nous, douleur ou volupté, est l’expression la plus immédiate de la volonté, nous comprenons aussi indiscutablement le son qui pénètre jusqu’à nous par l’oreille comme expression de cette même émotion ; mais ici, il n’est pas possible, comme à l’éclat de la lumière, d’avoir l’illusion que l’essence fondamentale du