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de la fameuse copie et me demanda d’un ton sévère ce que signifiai ce « langage convenu » (sic).

J’avoue que j’eus un moment envie de ne pas répondre et de laisser s’abîmer dans le ridicule l’homme qui me tenait au secret depuis plus de cinquante jours sous prétexte que j’aurais fabriqué le fameux petit bleu, ce document authentique que les protecteurs d’Esterhazy avaient gratté pour lui donner un aspect frauduleux. Mais cette envie ne dura pas. Le dégoût de l’erreur fut le plus fort. Comme cela m’était arrivé déjà dans plusieurs enquêtes, j’arrêtai mon adversaire au moment où il allait irrémédiablement s’enferrer et je lui appris, en riant, qu’il n’avait qu’à ouvrir un Bædecker pour savoir ce que c’était que Bœcklin et d’autres artistes nommés dans la même missive.

Je dois m’estimer heureux de ce que la Chambre criminelle de la Cour de cassation eût alors terminé ses travaux préliminaires et que l’enquête proprement dite fût sur le point de s’ouvrir.

Ce n’est plus au moment où la communication illégale faite aux juges de 1894 était définitivement prouvée, que l’on eût osé de nouveau faire usage de pièces secrètes, l’opération eût été d’autant plus dangereuse que la Cour de cassation, en faisant une enquête approfondie sur les faits connexes à l’affaire Dreyfus, devait regarder certainement de très près tout ce qui me concernait.

Il est évident pour moi que, sans ces circonstances, la lettre « Bœcklin » eût servi contre moi à des manœuvres semblables à celles au moyen desquelles on a accablé Dreyfus.

S’il en avait été autrement pourquoi l’aurait-on gardée si longtemps sans que personne, même Pellieux, en eût jamais soufflé mot ? Pourquoi ne l’a-t-on fait servir à l’instruction régulière qu’au dernier moment, alors que la Chambre criminelle de la Cour de cassation allait porter de tous côtés ses investigations ?

Je puis donc dire que je l’ai échappé belle.

Voyez-vous le Bois sacré de Bœcklin exploité savamment par Du Paty de Clam ou quelqu’un de ses émules pour la confection d’un de ces commentaires si consciencieusement faits que leurs auteurs sentent le besoin de les jeter au feu dès qu’ils ont servi.

Le Bois sacré ? c’est de toute évidence le grand État-Major allemand qui, comme chacun sait, est installé à côté du Bois de Boulogne berlinois qu’on appelle Thiergarten.

Bœcklin ? Ce diminutif ne peut être que l’appellation familière sous laquelle on désigne le général allemand von Bock, dont la personnalité est bien connue. Cette familiarité indique évidemment des relations anciennes ; le crime est habituel !

Et, pour comble, il était fait mention dans le même mémoire de la Moisson du paysagiste Zuend ! De quelle moisson pouvait-il s’agir sinon de la moisson de documents qu’on allait trouver à Bâle !

Je vous le dis, le document : « ce canaille de D… » lui-même n’était rien auprès de mon papier et, si l’usage des pièce secrètes n’avait pas