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irrésistibles, donna. Chez beaucoup de gens, des scènes analogues se produisirent.

Tout le monde, donc, bien qu’inquiet, se crut garanti contre les horreurs de la guerre. On resta et personne ne cacha son avoir. Le couvent contenait, outre la vénérable bibliothèque, l’avoir personnel de chaque moine. Ils étaient quatre-vingt sept.

Quand les barbares eurent occupé la Résidence, et qu’ils ravagèrent le pays ils arrivèrent jusqu’à Liang-hsien. Deux des missionnaires les accompagnaient comme interprètes. Une fois entrés dans la ville, ils assassinèrent tout le monde, pillèrent et incendièrent les maisons.

Voyant cette horreur, le prieur à la hâte fit fermer la porte du couvent. On le somma de la faire ouvrir. Mon frère dit que si l’on avait ouvert, tout se serait peut-être bien passé, les missionnaires ayant donné leur engagement. Hélas ! il ne voulait pas croire que les barbares savaient qu’il y avait de l’argent au couvent[1] ! Le prieur ne fît pas ouvrir. Les barbares tirèrent, puis enfoncèrent la porte. Et les saints hommes sans armes furent abominablement assassinés. Mon frère qui est faible de cœur, s’évanouit. Ils ont dû le croire mort.

Ils ont brûlé le couvent. Le dépôt d’argent avait naturellement disparu. Mon frère s’est réveillé par la chaleur. La fumée était dense. Il pouvait sortir, les barbares ayant quitté la rue. Il rencontra des citoyens qui fuyaient. Il les suivit à Tso[2], où les barbares n’étaient pas encore arrivés. Il lui fallut mendier. Il tomba malade. Il rendit visite au maire de Tso. Il lui raconta son histoire. Le magistrat lui répondit qu’un arrangement semblable avait été pris par lui, et que les missionnaires avaient voulu le dénoncer comme Membre de la Société[3].

  1. En Chine comme partout les hommes d’étude semblent naïfs aux hommes d’action. Monsieur Hsi-fo trouve monstrueux que son frère voulût ajouter foi le moins du monde à la parole d’un occidental. Le fait est que le pauvre ecclésiastique aurait eu tort. L’étonnement incidemment exprimé par Monsieur Hsi-fo montre cependant l’état qu’on fait, en général, dans le peuple, de l’honnêteté européenne. Créer cet état d’esprit, voilà ce qu’on appelle préparer l’influence commerciale de l’Europe.
  2. Tso est, je crois, une petite ville entre Pékin et Bao-ting.
  3. C’est-à-dire de le faire légalement assassiner. Les soi-disant exécutions militaires entraînaient, bien entendu, la confiscation des biens. Il semble que dans beaucoup de cas les missionnaires aient préféré le chantage préalable dans l’incertitude où ils étaient de voir la confiscation après l’assassinat tourner non pas à leur profit mais à celui des officiers. En outre ils avaient toujours la possibilité de faire chanter d’abord, de piller ensuite, d’assassiner après et de confisquer pour finir. C’est marquer de la finesse dans les combinaisons.