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Mais depuis que les Grands Poings avaient donné l’assaut aux Transocéaniens, le commerce allait assez mal. Les missionnaires prévoyaient probablement qu’ils allaient être tués comme il était juste. Aussi avaient-ils réussi à transporter beaucoup de marchandises vers la mer qu’ils payaient comme autrefois avec des traités sur la maison Tsien-taï-tchang. Mais leur compte dans cette maison était épuisé.

Les créanciers de M. Ta-li-gong se présentaient en nombre chez M. Tsien. Ce dernier leur déclara que le compte-courant était épuisé.

Ils répondirent que c’étaient sur le crédit de Tsien qu’ils avaient vendu à crédit à M. Ta-li-kung, et que, par conséquent, M. Tsien était responsable des pertes qu’ils éprouveraient si M. Ta-li-gong refusait de payer lui-même les traites. Ce dernier naturellement refusa. On allait porter l’affaire devant le juge. Mais le juge déclara que cette affaire était du ressort des juges du pays de M. Ta-li-gong. M. Tsien ne voulant pas payer pour M. Ta-li-kung, établit véritablement que le compte des missionnaires était épuisé. La population s’indigna contre ceux-ci. Aussi M. Ta-li-gong et les autres Transocéaniens prirent-ils la décision de partir ; les Grands Poings commençaient en effet la guerre, et il n’était pas possible de porter l’affaire devant le tribunal occidental. Les missionnaires rendirent visite au préfet, et lui imputèrent la responsabilité de tout, ils déclarèrent qu’ils se plaindraient à leurs généraux et que la ville serait punie. Ils allèrent voir aussi M. Tsien, et lui dirent que si l’armée des Transocéaniens venait, elle détruirait tout, et qu’ils prendraient soin de le faire punir de toute façon s’il ne leur donnait pas l’argent qu’il fallait pour payer les créanciers. M. Tsien, craignant les hordes barbares et la terrible justice occidentale[1] déféra à leur désir et donna

  1. Voici le mot décisif : la terrible justice occidentale. L’ex-territorialité des missions et l’impossibilité d’obtenir justice devant les tribunaux consulaires la caractérisent.

    Là où les magistrats chinois n’ont pas besoin par suite de la ridicule administration mandchoue de gagner leur vie par des pourboires, et surtout dans les affaires graves, la justice chinoise est infiniment supérieure à celle d’Europe. Sa marche est rapide et la partialité extrêmement rare. Dans les causes civiles, les procès longs et compliqués n’existent pas. Les avocats et avoués n’existent pas non plus. On se défend soi-même, avec l’assistance d’amis s’il y a lieu. Les magistrats touchent des appointements fixes qui ne semblent insuffisants que dans les provinces de la côte. Même à présent, dans les trois quarts de l’empire, les magistrats n’ont pas besoin de percevoir de droits. L’application de la loi est donc absolument gratuite et accessible même au plus pauvre. Le seul défaut de l’organisation est que la juridiction n’est pas séparée de l’administration. Dans les villages, le maire fait en même temps fonctions de juge de paix. Dans presque toutes les petites villes,