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dent : même on ose s’en plaindre.* Ce seul fait prouve que se plaindre de l’absence des missions russes en Chine ou se plaindre de l’existence de missions occidentales est tout un : c’est comme si l’on avouait qu’on craint que l’œuvre des missions ne soit tout à l’avantage de celui qui n’en a point et qu’elle est funeste à l’influence des États occidentaux qui autorisent et même appuient l’œuvre ténébreuse de leurs émissaires religieux.

Au point de vue militaire, cela paraît établi, le prestige sinistre de l’Occident a créé par réaction la russophile en Chine ; de même l’œuvre des missions de l’Occident a fait aimer la Russie qui, en bon commerçant laïque, se garde bien d’abriter des affaires véreuses de l’écran sacro-saint d’un principe supraterrestre. Car, et ceci est l’essentiel, les missions en Chine n’ont jamais fait œuvre utile à la religion.

Elles ne l’ont pas pu, même en écartant les raisons psychologiques, parce que la rivalité entre catholiques et protestants a ôté toute leur force probante aux principes chrétiens (toujours en admettant que cette force existe, ce qui n’est pas vrai quand on parle des Chinois). Les Chinois ont été forcés par les missions mêmes de faire une distinction rigoureuse entre les sectes chrétiennes. Les catholiques leur ont dit que seule la doctrine du Tien-tchou « Seigneur-du-Ciel », était la bonne. Les protestants ne manquent pas de les mettre en garde contre cette erreur ; ils prétendent que seule la doctrine du Yé-sou « Jésus » est la vraie. Et, les moujiks sont fins ; ceux des orthodoxes, qu’on interpelle, répondent que Tien-tchou et Yé-sou c’est la même chose, que leurs sectes sont schismatiques, qu’elles ne savent pas ce qu’elles veulent et que ce sont là des Hsi-tziao « doctrines d’Occident » qui ne valent rien puisqu’on réfute mutuellement jusqu’aux principes primordiaux.

Il sera permis de rappeler que le même argument a été invoqué contre le christianisme par le clergé bouddhique aux xive et xve siècles. On n’ignore pas, en effet, qu’au moyen âge, le christianisme nestorien avait une puissance telle que le pays traversé par la « Route impériale »

*  Comme il est arrivé à la Chambre des Députés et de façon fort réjouissante le 1er juillet 1901.

M. Sembat. — Les Russes n’ont pas de missions en Chine.

Comte d’Agoult. — C’est honteux. Et ils favorisent même les musulmans en Mongolie.

M. Sembat. — Vous parlez de la Kachgarie ?

Comte d’Agoult. — Mais non, je parle des musulmans en Mongolie.

M. Sembat paraît ahuri.

Ce colloque témoigne d’abord du dépit qu’éprouve la droite de voir la Russie s’appuyer sur des païens, manifestement pour accroître son influence au préjudice de ses rivaux qui prétendent arriver à la même fin par les missions. On en peut conclure encore que les spécialistes qui légifèrent obstinément en matière internationale ne sont pas moins ignorants de la géographie qu’on était en 1870. Ils confondent la Mongolie, emporium du bouddhisme et la Kachgarie, musulmane, à 2 000 kilomètres près.

De la Mongolie, un diplomate disait l’an dernier qu’elle était « limitrophe du Tonkin ». Ce diplomate a maintenant une fonction importante à Pékin, naturellement. Voilà leur carte d’Asie. Le tsar est favorisé.