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Cela signifie que presque toute l’industrie américaine est monopolisée, et au point de vue ouvrier, que la grève patronale est permanente.

À ce sujet The journal of commerce and Commercial Bulletin de New-York disait (22 mars 1899) :

« C’est une véritable explosion de résistance aux lois naturelles régulatrices de la concurrence. C’est l’opposé de tout ce que les économistes ont admis comme principe fondamental du commerce. Cela aboutit presque à une rupture complète des relations entre les puissances industrielles et les autres classes de la société. C’est la suppression des échanges volontaires entre les intérêts producteurs et distributeurs et la création d’une organisation exclusivement productrice pour chaque industrie, à laquelle tous les autres intérêts matériels doivent s’assujettir. L’ensemble de l’industrie est organisé sous forme de corporation féodalisée dont chacune jouit d’un pouvoir absolu dans sa branche spéciale de production tandis que, pris en masse, le système constitue lui-même le pouvoir commercial suprême de la nation. Ces innovations dans les méthodes déterminées de l’industrie restreignent sensiblement le libre accès des citoyens aux entreprises industrielles et font litière de la légalité… »

Il n’y a rien d’exagéré dans cette appréciation du grand journal de New-York. Depuis 1893, M. Carnegie joue le rôle de « roi de l’acier ». Il organise ou désorganise la grève patronale à son gré.

« Toutes les fois qu’un pool se dissout, dit Ernst von Halle, les patrons entrent de nouveau en négociation avec Carnegie, bien que l’expérience leur ait appris que la coopération avec lui ne tourne pas toujours à leur avantage particulier. Il gouverne avec un pouvoir presque absolu ; à la fin de 1893 il brisa un pool parce qu’un de ses membres avait produit plus que la proportion qui lui était fixée. » (Trusts in the United States).

Ce n’est pas là un fait isolé. John D. Rockefeller, « roi du fer », accapare les mines de fer du lac Supérieur. Grâce à un outillage mécanique perfectionné, il rend impossible la concurrence des mines voisines.

« Lorsqu’elles succombaient dans la lutte, le vainqueur les reprenait à bas prix si elles lui paraissaient assez riches. Résistaient-elles trop longtemps il leur appliquait le procédé de l’underselling ; il vendait au-dessous du cours les forçant ainsi à baisser leur prix d’une manière ruineuse pour elles jusqu’à ce que la faillite ou la soumission volontaire les eût mises à ses pieds. Lui pouvait sans difficulté perdre pendant plusieurs mois, s’il le fallait, sur chaque tonne de minerai vendu. Il possédait la bourse la plus longue (the longer purse). Il savait que ses concurrents s’épuiseraient avant lui. [1] »

On comprend pourquoi les trusts sont impopulaires dans le monde ouvrier. M. Ragan, sénateur du Texas proposait de punir par des amendes de 1 000 à 10 000 dollars et des emprisonnements d’un à cinq ans les participants d’une coalition patronale. Mais les trusts sont assez puissants pour acheter les juges, les tribunaux, les municipalités, les

  1. Citons encore la coalition des pétroliers — Standard Oil — dirigée par J. Rockefeller qui fit congédier plus de 1500 ouvriers et réduisit de 15 % le salaires des autres.