Page:La Revue blanche, t25, 1901.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terminées, les seuls Russes pourront se prévaloir de la bienveillance de l’estime et peut-être même de la confiance du peuple. Et, dans la lutte économique consécutive à la lutte militaire, c’est un facteur que ni le lustre militaire ni la peur de nouvelles violences ne déprécieront. On ne peut pas commercer avec qui ne veut ni vendre ni acheter. On ne peut pas occuper comme ouvriers des gens qui ne veulent pas travailler. À moins qu’on ne confère aux Européens, sous la protection (du reste inefficace) de leurs canons, le monopole de la vente de certains produits — et c’est impossible, — ou que l’on stipule (comme je ne sais quel capitaliste allemand l’a proposé) que le gouvernement chinois mettra gratuitement à la disposition des consulats européens un certain nombre de milliers de coolies qui libéreraient les civilisateurs du souci de payer leurs ouvriers, — à moins de recourir à des moyens irréalisables de par leur monstruosité, personne ne peut contraindre les Chinois à subir l’exploitation européenne sans leur offrir, tout ensemble, les moyens mêmes qui, à brève échéance, leur permettront de la remplacer par une exploitation chinoise.

La Chine, en effet, n’est pas une Inde ; on pourrait même dire : au contraire. Et la « mise en valeur » fût-ce d’une partie de la Chine d’après les principes économiques qui règnent en Europe serait, pour le peuple qui l’entreprendrait, la ruine sûre.

Encore que le « danger jaune » soit devenu un lieu commun, il importe de redire quelles seraient infailliblement les phases d’une « mise en valeur » de la Chine.

Dans une première période, on verra les capitaux européens et américains travailler en Chine à l’aide de machines et outils de même provenance, mais actionnés naturellement par la main-d’œuvre chinoise, qui est à bon marché : durant cette phase, la Chine pourra être un débouché excellent pour l’industrie occidentale ; mais seuls les grands capitaux bénéficieront de cet état de choses.

Dans une deuxième période, le capital européen travaillera en Chine avec l’outillage fabriqué en Chine même à des prix extrêmement modestes ; déjà le ricochet sur le marché et la production européens sera terrible ; mais, à ce moment encore, le capital employé sera très productif.

Dans une troisième période, ce sera le capital chinois, c’est-à-dire l’inépuisable force économique de ces immenses coopératives de production que la Chine a, dès longtemps, organisées, alors que l’Europe hésite encore à poser la question sociale, ce sera l’énorme capital des travailleurs mêmes qui se substituera au capital européen : la lutte du capital contre le travail organisé est vaine ; le déclin rapide et désastreux des États européens sera alors inévitable.

Dans une quatrième période enfin, ce seront les pays industriels actuels qui serviront de débouchés à la production chinoise, et la ruine européenne sera définitive.