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Le Schéma de la Conspiration russo-chinoise


La glorieuse campagne est close. Nos héros de Chine nous reviennent. Voilà la paix conclue. Mais l’Européen n’est jamais content : il y a des gens que cette paix inquiète. Un politicien remarquable prévoit qu’elle sera troublée par la lutte affreuse que « la civilisation aura à mener contre toutes les forces de la barbarie réunies ». Il oublie de dire de quel côté se trouve la civilisation, de quel côté la barbarie. Il ne s’est pas rendu compte qu’il y a là une question.

Eh bien, il n’y a pas là seulement une question, mais la question, la question primordiale, la question vitale, de quoi dépend le sort de l’Occident. Et c’est à sa solution que l’Occident vient de travailler, inconsidérément : il est, en effet, indéniable que l’entreprise occidentale, si crûment révélatrice des buts de notre civilisation, a rendu d’extraordinaires services tant politiques qu’économiques… mais à la politique du tsar, mais à la force économique de la nation chinoise.

Dans cette ténébreuse affaire, rien n’est accidentel. Le hasard, si souvent unique créateur de l’Histoire, est pour peu dans l’histoire chinoise des dix dernières années. L’Occident, qui a été berné, a été berné systématiquement. Voici comme.

Ce qu’on a accoutumé d’appeler la question chinoise provient de l’enchevêtrement de deux courants d’idées et d’énergie, qui différent par leur but et dans leur manifestation.

L’un : l’idée politique qui gouverne la Russie, — à savoir que la domination en Asie, et notamment dans la Chine septentrionale, peut seule donner à l’empire des tsars la solide base économique qui lui manque.

L’autre : l’idée économique qui gouverne le peuple chinois, — à savoir qu’une collaboration pacifique avec les Occidentaux n’est possible que sur le pied d’égalité absolue, égalité en dignité, en droit et en égards.

J’ai récemment établi que, au regard de la nation chinoise, la Russie ne saurait être assimilée à l’Occident, et j’ai déterminé aussi les faits caractéristiques qui ont inculqué aux Chinois l’idée que l’égalité est impossible entre eux et les Occidentaux. La cause de leur prétendue « haine de l’étranger » réside uniquement en la cynique violation du droit chinois par les conquistadores, marchands d’épices et marchands de dogmes, européens. Cette « haine » (dont je ferai plus tard l’historique) n’est devenue une force politique et nationale qu’à partir du moment où la politique russe a pu la combiner à sa propre méfiance à l’égard des Occidentaux en Extrême-Orient. Cette combinaison est un fait, et ce fait domine en ce moment la débandade des États européens.

Elle a été réalisée, peu à peu, de la façon suivante.