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Donc, comme vous voyez, je me trouve à Teliing-ting et je demeure chez notre ami d’affaires Ou-ting-yuan. Ceci revient à dire que Pao-ting a été saccagé par les Pous, et que j’ai dû fuir. De mon avoir je n’ai pu emporter que très peu de chose. Car, — comme, en fervent serviteur de Fo[1], je m’étais laissé introduire dans la société des Grands Poings et que j’avais prêté serment sur les six syllabes[2], et que les Transocéaniens, partout, tuent ou torturent les Grands Poings, — j’ai dû me sauver en toute hâte. Et il est vraiment heureux que mon mariage avec Mlle Tchou au lys d’or[3] n’ait pas encore eu lieu. Le stock en magasin appartenant à la Société, je n’ai donc ni perte d’êtres chéris, ni perte de fortune à déplorer. Ma fuite de Paoting a été motivée par les faits suivants.

Les Transocéaniens arrivèrent devant la ville un soir. C’étaient ceux qui s’appellent Fats[4] et qui se distinguent par des drapeaux composés de trois bandes verticales de couleur différente. Leur général envoya sa carte de visite au préfet, et ajouta certainement des observations rassurantes. Bref, ordre fut donné d’ouvrir les portes de la ville. Les Fats entrèrent et occupèrent les maisons de la rue de l’Est, où ils s’installèrent ; ils demandaient à manger et le reste. On leur donnait ce qu’ils demandaient. Et ils ne commettaient guère de méfaits. Le préfet eut à payer une assez forte contribution. Et les Fats hissèrent leur drapeau sur les portes de la ville. On ne fit mal à personne. Et le préfet afficha une proclamation disant que personne n’avait à craindre ni pour sa vie ni pour ses biens. Le général Fat lui en avait donné garantie. Mais voici comment tout cela tourna en désastre.

Les Fats étaient arrivés depuis trois jours, quand surgit une immense troupe d’autres Transocéaniens : c’étaient les terribles Pous, dont le carnassier empereur, qui, à ce qu’il paraît, commande aussi aux Fats, extermine sauvagement le peuple

  1. Passage du plus grand intérêt. Je me réserve le droit d’élucider à une autre occasion ce fait extrêmement important que le clergé bouddhique a organisé le mouvement boxer.
  2. C’est la preuve absolue du caractère bouddhique du mouvement boxer. Les six syllabes sont le tabernacle du bouddhisme tibétain : « Om-ma-ni-pad-mé-houm >>.
  3. C’est la désignation des pieds mutilés des femmes de la classe riche. Cette mode est aussi peu générale en Chine que celle du corset « droit devant » à Paris.
  4. Le mot « Fat », ou plutôt l’hiéroglyphe qui le désigne généralement, signifie « loi, habitude ». Un Chinois spirituel, auquel j’ai raconté certaines formalités administratives autant qu’inutiles, voire des « chinoiseries », en usage chez nous, — me dit : « Voilà pourquoi votre pays s’appelle Fat-kouo. De telles habitudes ineptes devraient être appelées Fat-kouo-fat-tse (françaiseries) ».